Afrique subsaharienne
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Kivus, Cabinda, Sierra-Leone… un mécanisme de certification d’origine pour mettre fin aux minerais du sang

Mis en place depuis 2003, le Processus de Kimberley, mécanisme de certification garantissant qu’un diamant brut n’a pas été extrait dans une zone de conflit, a réussi à réduire le phénomène des diamants du sang. Peut-on étendre ce mécanisme à d’autres minerais exploités militairement sur le continent africain ? Retour et précisions sur un dossier déjà ouvert l’année dernière dans Planète Verte :

Depuis le milieu des années 1990, la République démocratique du Congo est ensanglantée par une effroyable suite de conflits ayant causé plus de 4 millions de victimes. Pour être achevés sur la grande majorité du territoire, les affrontements continuent de faire tomber chaque mois des centaines voire des milliers de victimes, pour la plupart non-combattantes, dans les régions où ils ont toujours été les plus vivaces : le nord et le sud-Kivu, zones assez densément peuplées à la frontière du Rwanda et du Burundi.

Cette région, convoitée notamment pour sa richesse en colombo-tantalite (70 % des réserves mondiales y seraient situées) et en cassitérite, deux minerais indispensables pour la très florissante industrie asiatique des composants informatiques, est le théâtre par excellence d’un type de conflit récurrent en Afrique subsaharienne depuis le début des années 1990 : des conflits qui se déclenchent au nom de revendications territoriales ou politiques, mais qui perdurent du fait que les principaux belligérants, devenus de véritables « entrepreneurs de guerre » selon les mots du politologue Jean-François Bayart, ont souvent un intérêt économique bien plus important à voir la guerre se prolonger qu’à la gagner. Telles sont également les conclusions du chercheur Ian Smilie qui, après s’être penché pour l’ONG Partenariat Afrique-Canada sur le conflit sierra-léonais des années 1990, a été le père du mécanisme international de certification d’origine du diamant dit Processus de Kimberley.

Par ce processus qui lie des Etats, l’industrie du diamant (observatrice du processus au même titre que trois ONG internationales) s’engage à organiser une traçabilité de l’origine des pierres : à chaque fois qu’il franchit une frontière, le colis de diamant bruts est identifié et certifié par les douanes du pays de départ et d’arrivée. Une pierre produite dans une zone de conflits n’est pas admise à entrer dans un pays membre du Processus de Kimberley. Même s’il comporte des limites évidentes – n’est par exemple considérée comme zone de conflits qu’une zone rebelle aux gouvernements en place -, ce processus a permis depuis sa mise en place en 2003 d’assainir dans une large mesure le commerce du diamant brut : les vendeurs ont compris que des diamants de conflits seraient difficiles à écouler sur le marché, et les acheteurs (à Anvers, par exemple) ont compris qu’ils risquaient gros en termes d’amende et de réputation à acquérir des « diamants du sang ».

Avec de la volonté politique, ce qui a été mis en place pour le diamant sierra-léonais ou angolais peut l’être pour le coltan congolais. Mais il peut l’être aussi – pourquoi pas ? – pour le pétrole du Cabinda : cette minuscule enclave angolaise (à peine 7 000 km2) coincée entre les deux Congos, produit en effet 60 % du pétrole de l’Angola, lui-même devenu en 2009 le premier producteur africain de brut devant le Nigeria. Or le Cabinda revendique son indépendance dans l’indifférence générale depuis 1975, et constitue de ce fait le territoire le plus militarisé du monde avec près de 10 000 soldats par km2 (ou un soldat pour 10 habitants).

Pour que l’exploitation meurtrière des ressources naturelles cesse en Afrique, il faudra sans doute une initiative politique forte exigeant leur traçabilité. Celle-ci pourrait venir par exemple d’un groupe de parlementaires nationaux ou européens écologistes, éclairé par des recherches de terrain – par exemple celles menées aux Kivus par l’ONG anversoise IPIS (voir encadré) – et relayant des appels en ce sens de l’ONG britannique Global Witness (www.globalwitness.org). Une telle démarche aurait pour mérite d’affirmer avec force une exigence écologiste : pour être freinée, pour être en premier lieu respectueuse de l’humain et de l’environnement, l’exploitation économique de ressources naturelles doit être démilitarisée.

Benjamin Bibas

Un transfert militaro-mafieux de l’intérieur de l’Afrique vers l’océan Indien

Trois documents publiés récemment par l’Institute for Peace and International Studies (IPIS – www.ipisresearch.be), basé à Anvers, éclairent d’un jour nouveau l’exploitation militarisée des ressources naturelles aux Kivus.

Dans « Une analyse du secteur minier dans l’arrière-pays du Kivu » (décembre 2010), le chercheur Steven Spittaels révèle que plus que les Kivus, ce sont les provinces limitrophes du Nord-Katanga et du Maniema qui sont les principaux fournisseurs respectivement de coltan et de cassitérite vers les hubs d’expédition kivuans de Bukavu et de Goma, frontaliers avec le Rwanda. Le détail a son importance, lorsqu’on sait que dans ces deux provinces ce sont des garnisons des FARDC (armée régulière congolaise), et non des soldats ou des rebelles rwandais, qui sont installées.

Dans « La Complexité de la gouvernance des ressources dans un Etat fragile : le cas de l’Est de la RD Congo » (avril 2011), Jeroen Cuvelier rappelle que les minerais de RDC sont exportés le plus souvent en Asie via le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, le Kenya ou la Tanzanie.

« Le transfertde quantités importantesde minéraux provenant demines artisanalesde l’intérieur de la RD Congo vers la côtede l’océan Indien(et au-delà) exige la participationd’ungrand nombre de personnes opérant le longde plusieurs routes commerciales », explique-t-il.

« Ces genstravaillant le plus souventensemble de façon étroite et régulière, il semble pertinentde les concevoircomme des réseaux ».

Enfin, dans « Le Rôle du Kenya dans le commerce de l’or issu de l’Est de la RD Congo » (août 2011), le même auteur rapporte que la suspension des exportations des minerais kivuans décidée par le président congolais Joseph Kabila entre septembre 2010 et mars 2011 n’a eu aucun effet : des grands commerçants kenyans, en lien avec des partenaires indiens, sud-africains ou étasuno-nigérians, ont toutes facilités mafieuses dans les aéroports mêmes des Kivus pour exporter au lointain l’or extrait de ces provinces.

Pour lutter contre cette mafia militaro-commerciale transfrontalière, les chercheurs de l’IPIS préconisent une meilleure connaissance des besoins des mineurs artisanaux victimes du racket des militaires, une aide accrue au gouvernement congolais pour qu’il arrive à mieux payer et restructurer son armée, enfin une certification d’origine des plus gros colis de minerais (« la certification de chaque petit colis est une tâche impossible », est-il précisé).

Benjamin Bibas