Les Journées d’été EELV se sont tenues du 21 au 23 août sur le campus de l’Université Bordeaux III à Pessac (Gironde). En plus d’un atelier dédié à la coopération décentralisée Bègles-Bargny (Sénégal), quatre ateliers étaient consacrés à des questions liées à l’Afrique. Leurs débats sont brièvement résumés ci-dessous.
Mali : gagner la paix
Jeudi 21 août à 16h30, salle A4
Animation
Françoise Alamartine, responsable de la commission Transnationale
Gérard Lansade, membre du groupe Afrique EELV et de l’association « Avec et pour le Mali ».
Avec
Bintou Diallo, présidente du Parti Vert malien
N’Fa Diabate, vice- président, maire de Tienfala, 6 900 hab.
Ousmane B. Diallo, éleveur, représentant de la Cnop1
Housseini Saye, maire de Bandiagara, 25 000 hab., pays Dogon
Nicole Kiil-Nielsen, députée européenne 2009/2014
Après Serval, pour EELV, il fallait gagner la paix pour éviter les conflits : favoriser un autre développement, la démocratie, la décentralisation, des échanges plus égalitaires, des projets issus des populations et non au profit des multinationales, l’agriculture paysanne.
Pari difficile : 172e/181 pour l’IDH, des camps de réfugiés, une situation instable au Nord, un tourisme exsangue, une économie à 80% agricole, un environnement parfois rude : sols ravinés par le déboisement, pluviométrie en baisse…
2013 : l’UE donne 250 millions d’euros, la France, 141. L’argent « se perd souvent dans le sable ». La coopération décentralisée entre collectivités cible les besoins, va dix fois plus vite, est plus efficace. Lors de la crise, l’Etat ne fonctionnait plus, les collectivités, si. Une commune sur cinq est jumelée avec une française. Exemple, Bandiagara ( Patrimoine de l’Unesco) et Orchies (Nord) : un jardin scolaire, projet du village, géré par les enfants, une cantine créée par les mères (avec une meilleure alimentation).
« 2012 : une guerre bien plus grave que celle du Nord Mali : l’accaparement des terres »
Des agriculteurs, des villages entiers, des centaines de familles expulsés au profit de multinationales (libyenne, chinoise, brésilienne) : jusqu’à 700 000 ha. Pompage de l’eau pour le canal démesuré (114m/42kms) du fils de Khadafi. Des terres vendues à des particuliers qui ne les cultivent pas.
40% des baux fonciers sont destinés aux cultures d’agro-carburants, ex. la Jatropha qui formait les haies, fixait la terre, servait à fabriquer du savon.
Accords de Partenariat Economique (APE) : l’UE fait pression pour la libéralisation des échanges agricoles. Deux pays « sous tutelle » ont cédé, la Cedeao[1] vient de signer. Concurrence déloyale vu les subventions, les normes hypocrites (les agriculteurs maliens n’ont pas les moyens de mettre des pesticides).
Mauvaise gestion de l’Etat, brimades contre les paysans : l’exode rural s’intensifie.
Décentralisation. Elections régionales prévues, les 703 communes sont trop isolées. Le système électoral est proche du système français. Bandiagara, 17 élus, est divisé en 10 quartiers administrés par des « chefs ». Des efforts sont faits pour la parité. Coopération nécessaire pour l’eau, l’assainissement, la ville ayant grossi trop vite.
Le maire vert (comme 2 de ses adjoints) est élu depuis 2004 à Tienfana, 4 écoles, 2 second cycle, 4 centres de santé, une maternité.
Les compétences données aux municipalités (éducation, eau, santé) sont « de façade », le contrôle reste à l’Etat. Ainsi, la forêt de 300 ha, quoique classée, est en danger. Comme les réserves d’eau : le gouvernement a décidé seul d’y imposer la décharge de Bamako. La population, informée par la municipalité, a manifesté, obligeant l’Etat à protéger la ressource.
Changements politiques. Avec une presse plus libre, des députés indépendants, des syndicats agricoles[2]: l’information circule. Les APE ne seront pas forcément ratifiés.
Suite aux mobilisations, une loi agricole est en cours, contre la spoliation par les multinationales (et prête-noms, obtenant crédits, exonérations, au contraire des agriculteurs)[3].
La loi foncière doit s’appuyer sur le droit coutumier, attribuant la terre à des cultivateurs non propriétaires. Contre les ventes illicites, la gestion doit revenir à la communauté, non au chef de village (parfois analphabète) et au maire.
Multipartisme : la Cnop a des élus, N’Fa Diabate s’est présenté aux législatives pour l’écologie (4e/8). Nicole K N, observatrice des élections 2013, confirme leur bonne tenue, due à l’habitude de l’Etat et des habitants d’en organiser.
« Si tu cherches une aiguille et que celui qui t’aide à chercher a le pied dessus, tu ne pourras la trouver ».
[1] Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest
[2] Via Campesina a fait des formations, créé un village paysan, etc.
[3] Dénonciation arrivée jusqu’à l’ONU, lorsque cet accaparement a détruit un cimetière.
Lire le compte-rendu détaillé de l’atelier « Mali : gagner la paix »
Bordeaux, Nantes : mémoires comparées de l’esclavage
Vendredi 22 août à 14h30, salle A9
Avec
Élise Dan Ndobo, Les Anneaux de la mémoire (Nantes)
Jean-Philippe Magnen, vice-président de la Région Pays de la Loire et ancien adjoint au maire de Nantes
Ousmane Cissé, CRAN Aquitaine
Marie Bové, conseillère régionale Aquitaine et déléguée à l’international au Bureau exécutif EELV
Animation
Benjamin Bibas, co-responsable groupe Afrique EELV
Précédé d’une visite guidée de la ville de Bordeaux sur le thème de la traite négrière, cet atelier entendait comparer les traces institutionnelles que la mémoire de cette violence extrême avait laissées à Bordeaux et à Nantes. La parole était donnée à des acteurs associatifs et politiques des deux villes afin de comprendre comment l’action politique peut relayer les revendications associatives portant sur la mémoire de la traite.
Élise Dan Ndobo a rappelé l’engagement de l’association Les Anneaux de la mémoire dans l’organisation de l’exposition éponyme qui a rassemblé 400 000 visiteurs au Château des Ducs de Bretagne / Musée d’histoire urbaine de Nantes en 1992-1994, puis en faveur de l’explicitation de l’histoire de la traite à Nantes, premier port négrier français, dans les collections permanentes du musée. Considérant l’inauguration du Mémorial de l’abolition de l’esclavage au bord de la Loire en 2012 comme une avancée symbolique, elle souhaite aujourd’hui poursuivre la collaboration avec la Ville sur ce travail de mémoire. Saluant le travail de la municipalité de Jean-Marc Ayrault sur cette question, Jean-Philippe Magnen pense qu’il peut être prolongé par la mise en place de coopérations décentralisées avec les territoires concernés (Haïti, Antilles françaises, Rufisque au Sénégal…), le développement de recherches à l’Institut d’études avancées de Nantes, l’ouverture des quais de la Loire pour permettre un commerce plus visible et plus vertueux avec le reste du monde.
Saluant l’ouverture récente de six salles consacrées à la traite négrière atlantique au Musée d’Aquitaine, Ousmane Cissé a insisté, au-delà du travail de mémoire, sur la notion de réparations. Celles-ci pourraient prendre quatre formes : mémorielles (édification d’un mémorial), éducationnelles (approfondissement de la traite dans les programmes scolaires), foncières (réforme dans les Antilles françaises) ou financières (remboursements à Haïti). Marie Bové a rappelé que Bordeaux, avec plus de 500 expéditions négrières et plus de 130 000 Africains déportés, est classé deuxième port négrier français après Nantes, et même premier au début du XIXe siècle. Pour continuer d’éclairer cette histoire sombre, elle propose la création d’un Institut des mondes africains afin de lier recherches et arts sur l’Afrique historique et contemporaine. Jean-Philippe Magnen conclut en envisageant la création d’une coordination des différents pôles travaillant sur la traite au sein d’un centre national français sur ces questions.
La République centrafricaine, un pays en crise au cœur d’une sous-région en mal d’écologie
Vendredi 22 août à 16h30, salle C4
Avec
François Passema, Comité d’action pour la conquête de la démocratie en Centrafrique (CACDCA)
Narcisse Kamayenwode, EELV Bègles
Frank Kodbaye, journaliste tchadien
Kalliopi Ango Ela, ex-sénatrice EELV des Français établis hors de France (2012-2014)
Discutants
Balaam Facho, Forum des ORganisations Environnementales du Tchad (FORET)
François Missengue et Amédée Keti, cercle La Rupture (Congo-Brazzaville)
Raimundo Ela Nsang, Coalition pour la Restauration de la Démocratie (CORED) en Guinée équatoriale)
Animation
Benjamin Bibas, co-responsable groupe Afrique EELV
Le but de cet atelier était double : analyser les causes du conflit en République centrafricaine (RCA) sous un angle écologique ; proposer des solutions de sortie de crise impliquant tous les pays d’Afrique centrale.
François Passema et Narcisse Kamayenwode estiment que sous des dehors de conflit communautaire, la guerre en RCA vise l’appropriation des ressources naturelles du pays (diamant, pétrole, bois, riche sous-sol forestier, eau…) et notamment de sa région Nord. Elle est alimentée par le Tchad avec la bienveillance de puissances plus lointaines (pays arabes du golfe persique, Chine…). Par-delà l’intervention militaire française, la sécurité des Centrafricain/es ne pourra être rétablie que par l’augmentation du dispositif militaire onusien à environ 15 000 hommes répartis sur l’ensemble du pays. La RCA devra ensuite être mise sous tutelle de l’ONU pendant un an ou deux, le temps d’organiser des élections et une justice crédibles. Pour Frank Kodbaye, la guerre en RCA ne peut être enrayée à moyen et long terme que par une coopération régionale visant une gestion durable des ressources naturelles de la RCA et d’Afrique centrale au profit des habitant/es de la sous-région. Kalliopi Ango Ela abonde en ce sens, concluant sur l’importance de la gestion collective du foncier, dont le cadastrage administratif recèle des conflits durs et infinis.
Des écologistes de pays voisins ont discuté ces propos. Balaam Facho (Tchad) pense que la déstabilisation de la RCA est une politique délibérée menée par le président tchadien Idriss Déby. François Missengue et Amédée Keti (Congo-Brazzaville) ont parlé d’une véritable razzia des puissances asiatiques sur la faune et la flore de la forêt du « rectangle vert » (Congos, Gabon, Cameroun, RCA), relevant également le danger d’une expansion islamiste violente dans la région. Raimundo Ela Nsang (Guinée équatoriale) a appelé à la création d’un syndicat des opposants écologistes aux régimes dictatoriaux d’Afrique centrale : si la situation se débloque dans un pays, celui-ci deviendra une base arrière pour que les écologistes des pays voisins puissent s’organiser.
Négritude et écologie : autour de la figure d’Aimé Césaire
Vendredi 22 août à 16h30, salle C6
Avec
Balla Koné
Bénédicte Monville-De Cecco, docteur en anthropologie sociale et ethnologie (EHESS).
Animation
Frédéric Maintenant, groupe Afrique EELV
Pourquoi Aimé Césaire aux Journées d’été d’EELV ? Certes, le centenaire d’Aimé Césaire a eu lieu l’année dernière, mais rien ne nous empêche de revenir sur les pensées d’un éminent homme de culture du XXe siècle qui fut comme Léopold Sédar Senghor, un grand acteur politique d’abord en France et contrairement à Senghor… toujours en France par la suite, une France de 1982 décentralisée mais une France qui n’a toujours pas complètement réglé et assumé son passé colonial. Négritude et écologie, c’est une évidence car la biodiversité est d’abord humaine.
Pour Frédéric Maintenant, « lire et relire Césaire, c’est voir devant soi la vie prendre, l’existant se muer, l’existence être, et comment assumer d’être écologistes si la vie n’est pas au centre de nos préoccupations, et quand je lis Césaire, je ressens cette virulence pas facile de l’être prenant forme et voulant s’affirmer. Et, en même temps Césaire nous parle de ce qui a toujours été là, cette nature, nature humaine, nature maternelle, mais, il n’en parle pas comme ça de but en blanc, il la fait émerger en nous à travers la science infinie de son langage, science qui couvre littérature et politique. La force de ses mots est sa fierté, on la sent toujours présente, mobilisatrice et, pour moi, elle me donne l’envie de vivre, la nécessité de continuer, et, là, oui, là, je vois, je perçois ce qu’est la nécessité écologique d’être. Les Antilles, l’Afrique, la Négritude, sans les chercher, s’inscrivent alors en moi, comme inséparables de ce que je suis, et comme l’acteur blanc des Griotshango dans Soleil O de Med Hondo, je n’ai aucun problème, aucune gêne à dire: « Mais moi aussi je suis nègre » ».
Ensuite a été diffusé un extrait d’une interview d’Aimé Césaire, puis un montage extrait de la pièce de Césaire Et les chiens se taisaient.
Bénédicte Monville De Cecco a fait une présentation de l’histoire du problème de l’esclavage en Martinique en le liant à la pensée poétique et politique d’Aimé Césaire, faisant plusieurs analyses du vocabulaire étendu du poète, et mettant en avant l’importance de la nature dans sa pensée, tout en admettant des contradictions écologiques, comme la volonté de mettre en valeur les plantations de bananes.
Puis Balla Koné a évoqué l’importance d’Aimé Césaire dans le cursus des élèves maliens, soulignant l’implication politique en Afrique de la Négritude, soulignant la fierté retrouvée d’être noir et intellectuel, mais que Négritude et couleur de peau ne se confondaient pas.
Visionner la vidéo de l’intégralité de l’atelier.