Le Mali face à une crise aux enjeux multiples
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Analyse de la situation actuelle au Mali
et pistes d’actions

proposées
par Cédric Taurisson*
et Ibrahima Sidibé-Pommier**


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Depuis son accession à l’indépendance en 1960, le Mali n’a jamais été confronté à une crise aussi grave. Celle-ci débute avec la reprise de la rébellion touarègue et l’attaque de Ménaka par le Mouvement national de libération de lAzawad (MNLA), crée en octobre 2011 avec pour projet de fédérer les mouvements touaregs autour de l’indépendance des trois régions Nord du Mali (Kidal, Tombouctou, et Gao). Très rapidement dépassée par cette rébellion revivifiée par les combattants rentrés de Libye avec armes et bagages, l’armée malienne abandonne ses positions à Tinzawaten, puis Aguelhock le 24 janvier où 70 militaires maliens désarmés sont égorgés et la base de Tessalit le 11 mars après 12 jours de siège. 

Devant cette situation insurrectionnelle inédite, l’armée malienne et son chef suprême, le président de la République Amadou Toumani Touré (ATT), ne parviennent pas à contrer les mouvements du MNLA qui dispose d’un armement sophistiqué pillé dans les garnisons du sud libyen.

Devant la crise inévitable de sécession du Nord qui menace le pays, le pouvoir évanescent de ATT est renversé le 22 mars 2012, soit deux mois avant la fin de son deuxième mandat, par un coup d’Etat militaire dirigé par le Capitaine Amadou Haya Sanogo.

En rompant la chaîne du commandement, les putschistes dont les revendications portaient sur la gestion catastrophique du problème du Nord, précipitent le Mali dans la partition avec l’occupation éclair par les rebelles armés, des trois grandes villes du Nord (Kidal le 29 mars, Gao le 30 et Tombouctou le 1er avril).

Les rebelles du MNLA alliés aux groupes islamistes armés de Ansar dine1, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI)2 ou encore le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao)3 prennent le contrôle d’un territoire de 800.000km2, avec une équation politique compliquée à résoudre. Les touaregs sont minoritaires dans les deux régions sauf à Kidal, la moins peuplée, et surtout des divergences profondes existent entre indépendantistes et partisans de la charia dans tout le Mali.

Le conflit prend rapidement une tournure dramatique avec l’afflux des réfugiés vers les pays voisins (300 000 personnes) et vers le Sud du pays (150 000 personnes).

Malgré tout le MNLA proclame le 6 avril, l’indépendance de l’Azawad, bien que celle-ci ne soit reconnue par aucun Etat et au moment où ses tentatives de fusion avec Ansar dine ont échoué. L’alliance entre djihadistes et indépendantistes ne tient pas et le MNLA est chassé de Gao le 27 juin et d’Ansongo début juillet.

Après quelques semaines de tergiversations politiques et diplomatiques face à la situation de crise politique générée par le coup d’Etat, la communauté internationale et la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) parviennent à faire reculer la junte avec le rétablissement de la Constitution et la signature le 6 avril d’un accord cadre qui fixe les modalités d’une transition politique. Sous la houlette du médiateur le Président Blaise Compaoré du Burkina Faso, l’intérim de ATT démissionnaire est assuré par Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée Nationale, et Cheick Modibo Diarra nommé premier ministre.

Cet accord cadre, mal ficelé, entrevoit une certaine reconnaissance de la junte, et ouvre une période d’instabilité politique à Bamako qui culmine avec l’agression de Dioncounda Traoré (21 mai) par des forces favorables à Sanogo (Copam et associations de jeunes..). Ces derniers voulaient organiser une convention nationale pour choisir le chef de l’Etat sous la transition au mépris des règles constitutionnelles du Mali.

Cette agression, par sa gravité, a montré les vrais objectifs de la junte et de ses alliés politiques : régenter le jeu politique malien en étouffant toute contestation par des atteintes systématiques aux droits de l’Homme (arrestations arbitraires, tabassages, vols, séquestration, exécutions extra-judiciaires…). La situation actuelle reste préoccupante avec un président toujours en convalescence à Paris, un Premier ministre sans carrure, coincé entre les diktats et tergiversations de la CEDEAO, de l’Union Africaine, des partenaires du Mali et les exigences de la junte toujours active dans l’arrière-cour, cela malgré la dissolution du CNRDRE, l’organe du coup d’Etat.

Le Premier Ministre malien doit élargir son gouvernement avant fin juillet pour rester dans les exigences de la communauté internationale, une communauté internationale elle même dépassée par l’effondrement soudain d’un pays pourtant présenté il y’a peu comme un modèle de démocratie en Afrique.

Les dimensions géopolitiques de la crise deviennent prégnantes face à l’incapacité des acteurs politiques maliens à mettre en place une transition solide à même de reconquérir sa souveraineté sur le Nord. Entre l’Algérie, la Mauritanie, le Burkina Faso, trois pays dont les agissements sont de plus en plus suspects dans le conflit (solution négociée, sympathies pour certaines factions touarègues – Ansar dine pour l’Algérie et MNLA pour les deux autres), et les pays va-t’en-guerre craignant la déstabilisation de toute la sous-région (Niger, Guinée, Sénégal, Côte d’Ivoire, Nigéria), la crise malienne n’est qu’à ses balbutiements et sa population prise entre plusieurs périls imminents ( guerre civile, famine, maladies).

Le Nord-Mali, une zone de non-droit à la géopolitique complexe

Coincée entre la Mauritanie, l’Algérie et le Niger, cette zone historique de transit n’a jamais réellement été sous le contrôle d’un Etat Malien qui, faute de moyens régaliens (douaniers, policiers, gendarmes) a abandonné ses marges aux narco-traficants, au terrorisme d’AQMI et au trafic d’armes… cela depuis le milieu des années 2000.

Les organisations criminelles (AQMI, MUJAO) qui y ont installé leurs bases arrière se sont considérablement renforcées en hommes et en armement profitant du chaos né de la chute deMouammar Kadhafile 20 octobre 2011. Selon plusieurs sourceselles possèdent « des missiles anti-aériens, armes anti-char, des camions lance-roquettes, des mitrailleuses de gros calibre et de nombreux véhicules 4×4 »4Ces groupes disposent d’un véritable arsenal « assez puissant pour leur permettre d’atteindre leur but »5 et faire le djihad pour imposer la charia à l’ensemble du pays.

Vers une « somalisation » du territoire ?

Le 27 juin 2012, l’alliance de circonstance entre les touaregs du MNLA favorables à l’indépendance d’un Azawad laïc et les groupes salafistes Mujao et Ansar dine chapeautés par AQMI, non sécessionnistes et tous partisans de la charia, vole en éclat.

Ayant instrumentalisé le MNLA en profitant de son expertise militaire et de ses réseaux de communication en Occident, les djihadistes se sont rendus maîtres des régions du Nord. L’éviction du MNLA sans soutien financier et disposant de peu de réseaux dans les tribus pour légitimer son projet indépendantiste devenu obsolète clarifie la situation.

Le Nord du Mali vit aujourd’hui une situation effrayante : fermeture des écoles, pillage de bâtiments publics, destruction des débits de boisson, imposition du voile islamique, destruction de bibliothèques, interdiction de la musique autre que religieuse… A cela s’ajoute, depuis plusieurs mois, toute une série d’exactions (viols, meurtres, flagellations…), recrutement d’enfants soldats qui sont à la fois imputables aux membres du MNLA comme à ceux de Ansar dine6. Cette imposition forcée de la charia à des populations traumatisées par le saccage de son patrimoine culturel et la destruction fin juin des mausolées de Tombouctou a créé un malaise dans la communauté internationale. Malgré la prise de positon de Fatou Bensouda, procureur de la Cour pénale internationale (CPI), qui a déclaré que la destruction en cours de mausolées est « un crime de guerre » passible de poursuites de la CPI puis ouvert un examen préliminaire sur la situation au Mali depuis le 1er janvier 2012, les djihadistes continuent de déployer leur macabre politique de conversion forcée des populations à leur approche rigoriste de l’islam.

QUELLE POSTURE ADOPTER FACE À CETTE CRISE MALIENNE ?

Éléments contributifs à une prise de décision collective

Plusieurs problématiques dans cette crise malienne concernent des thématiques à approfondir au sein d’EELV : question des minorités, intégration africaine (rôle de la CEDEAO), questions environnementales (désertification, questions foncières), décentralisation, co-développement… et aussi quelle politique africaine de la France dans un monde multipolaire.

Devant la complexité de la situation malienne qui est extrêmement mouvante nous dégageons les recommandations suivantes.

Quelle position politique?

– Demander que la junte soit exclue du jeu politique et soutenir la mise en place rapide d’un gouvernement d’union nationale capable de travailler à la recomposition d’une armée républicaine, à la protection des institutions et d’établir la mise en œuvre d’un calendrier pour l’organisation d’élections.

– Défendre la souveraineté territoriale malienne et le fondement laïc de sa république car elle respecte la liberté de culte et évite une hiérarchisation des croyances

– Inviter les Touaregs du MNLA à renoncer à la sécession, à dissoudre leur comité exécutif et à s’asseoir à la table des négociations pour participer au rétablissement de l’intégrité territoriale

– Exiger de la junte la fin des détentions arbitraires et l’arrêt des menaces envers les journalistes

– Faire respecter des droits humains et demander l’ouverture d’une commission d’enquête pour rechercher les responsables de la tuerie d’Aguelhock

– Encourager le Procureur de la CPI à poursuivre ses engagements en recherchant les responsables de la destruction des mausolées de Tombouctou et des autres violations graves des droits humains survenues au Mali depuis le 1er janvier 2012

– Demander à l’ONU l’ouverture d’enquêtes sur les exactions commises au Nord et sur les sources financières et matérielles des groupes armés.

Une coopération sous-régionale sahélienne basée sur la sécurité

– Encourager les pays de la sous-région (CEDEAO, Mauritanie et l’Algérie) à définir une stratégie commune pour que le Mali retrouve le contrôle de l’intégralité de son territoire. Encourager l’Algérie à aller dans cette direction.

– Etudier toutes les solutions portées par les acteurs de la sous- région qui ont pour objectif de mettre fin aux agissements d’Aqmi, de procéder au démantèlement des groupes armés et à leur désarmement.

– Refuser toute intervention militaire de la France et inviter la CEDEAO et l’UA (Union Africaine) à poursuivre leurs efforts et à accélérer les négociations (Mission de la Cédéao au Mali dite Micema) pour choisir les modes de résolutions du conflit.

– Eviter une intervention militaire occidentale qui risque d’accentuer les tensions et favoriser une dissémination de la violence à la sous région.

– Accompagner les solutions humanitaires, les négociations avec les groupes armés Touaregs et la remise sur pied des forces armées maliennes.

L’Union européenne directement concernée par les trafics de drogue qui s’opèrent sur l’axe Sud/Nord qui va de la Guinée-Bissau à l’Algérie doit s’impliquer dans la mise en œuvre d’une organisation de sécurité transfrontalière sahélienne stable et efficace. Cette organisation doit aboutir rapidement à la définition d’une stratégie commune contre les trafics au plan institutionnel, juridique et opérationnel.

La situation au Nord-Mali résulte également d’un défaut de réglementation et de transparence sur le commerce des armes. La France et l’Union Européenne doivent se montrer volontaristes en accentuant la pression sur la communauté internationale et les principaux pays exportateurs (Russie, USA, Chine) pour qu’une législation contraignante sur le commerce des armes conventionnelles puisse aboutir.

Répondre à l’urgence humanitaire

Il y a urgence à venir en aide aux populations du nord frappées par un manque flagrant de nourriture (période de soudure), de soins, de médicaments et où des cas de choléra viennent d’être signalés. Quelques rares ONG continuent d’avoir une action sur place par l’intermédiaire de relais locaux, mais la plupart des programmes sont arrêtés.

Face à l’urgence sanitaire et en vertu du droit international :

– Nous demandons l’instauration d’un corridor humanitaire pour faciliter l’accès à la zone nord aux ONG d’urgence.

– La restauration des conditions de sécurité (déminage et démantèlement des groupes armés) pour assurer le retour des réfugiés et la reprise de l’activité économique.

– Nous souhaitons dès l’instauration d’un gouvernement d’union nationale que les partenaires multilatéraux du Mali s’unissent pour soutenir l’économie malienne et les aides d’urgence aux populations civiles durement touchées par la crise.

Une fois la situation stabilisée, nous espérons que la France ouvrira avec le Mali, la page d’une coopération écologique, éthique et respectueuse de la diversité des cultures.

Cédric Taurisson et Ibrahima Sidibé Pommier, le 20 juillet 2012

* Cédric Taurisson (EELV Carcassonne), ancien directeur de l’Alliance française de Ziguinchor (Sénégal) / cedrikson@gmail.com
** Ibrahima Sidibé-Pommier
(EELV Talence), africaniste diplômé du Centre d’études sur l’Afrique noire (Sciences-Po Bordeaux) / sidibe-pommier.ibrahima@neuf.fr

Ansar ed-Dine (« Les défenseurs de la religion »), mouvement touareg islamiste qui revendique l’application de la charia dans le Nord-Mali. Dirigé par le fameux Iyad ag Ghali, ancien chef des rébellions touareg des années 1990 puis médiateur pour l’État malien lors des négociations avec AQMI.
Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) est une émanation du groupe islamiste armé algérien, le groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), lui même issu des groupes islamiques armés (GIA). Le GSPC est devenu officiellement AQMI le 25 janvier 2007. AQMI revendique l’idéologie salafiste djihadiste prônée par Oussama Ben Laden lors de la création de la mouvance en 1988.
Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) est un mouvement à la fois dissident et proche d’Aqmi qui s’est créé en mars 2011. Ce mouvement s’est spécialisé dans les enlèvements transfrontaliers. Rapt en décembre 2011 de trois humanitaires qui travaillaient dans des camps de réfugiés proches de Tindouf dans l’ouest de l’Algérie. Enlèvement, le 5 avril 2012, du consul d’Algérie et de six de ses collaborateurs basés à Gao.
4 « Le retour des Touareg au Mali et au Niger : quels enjeux ? », Nouvelles du GRIP, 4/12/
« Qaddafi’s Weapons, Taken by Old Allies, Reinvigorate an Insurgent Army in Mali », New York Times, 5 février 2012.