Europe Ecologie Les Verts déplore les morts et les nombreuses blessures survenues lors des manifestations de ces derniers jours, au Tchad, en opposition au pouvoir militaire qui vient de prendre la direction du pays. Plus de 700 personnes ont été arrêtées. EELV apporte son soutien aux aspirations démocratiques du peuple tchadien.
Ces événements ont amené le président français, Emmanuel Macron, à formellement prendre quelques distances avec le nouveau pouvoir tchadien. Avec Félix Tshisekedi, chef d’Etat congolais et président temporaire de l’Union africaine (UA), dans un communiqué commun, ils « condamnent fermement la répression des manifestations au Tchad et demandent la cessation de toutes les formes de violences ». Lors de leur point de presse commun, le président français s’est également prononcé pour une « transition pacifique, démocratique, inclusive ».
Ces déclarations constituent une évolution bienvenue de la communication de la France sur la situation tchadienne : elle s’était résumée jusque là au panégyrique du dictateur tchadien présenté comme un « ami courageux ».
Le président français s’est rendu au Tchad en fin de semaine dernière où il a activement participé aux obsèques du Maréchal-président Idriss Deby Itno, décédé le 20 avril dernier. Cette séquence d’un président français assistant aux funérailles et prononçant l’éloge funèbre du dictateur tchadien a été choquante à plus d’un titre.
La France, qui se proclame la patrie des Droits de l’Homme, a ainsi rendu un vibrant hommage à un autocrate qui, tout au long de ses 30 ans de pouvoir sans partage, a été accusé de violations massives des droits humains par de nombreuses organisations tchadiennes, africaines, françaises et internationales.
En outre, le décès et les funérailles d’Idriss Déby sont intervenus dans un double contexte très particulier pour le Tchad. Le contexte électoral, d’abord. En effet, l’annonce de la mort de l’ancien dictateur a suivi de quelques heures seulement celle de sa victoire pour un sixième mandat présidentiel avec le score sans appel de 79,32%. Cette élection, comme les précédentes, s’est avérée être une véritable mascarade boycottée massivement par l’opposition et la population. Une fois encore, elle a été précédée par une répression féroce de manifestations et de réunions, de vagues d’arrestations arbitraires, d’opérations d’intimidations de l’opposition. Ce qui, suite à des tirs des forces de l’ordre, s’est soldée par la mort de la mère, âgée de 80 ans, et du fils d’un des des principaux opposants, Yaya Dillo, ainsi que par diverses graves atteintes aux libertés fondamentales dénoncées, entre autres, par Amnesty International et Human Rights Watch.
C’est dans ce contexte électoral qu’est intervenue l’offensive armée d’un mouvement rebelle, un des multiples groupes qui se sont nourris du chaos créé en Libye. Ce serait, en essayant de les repousser qu’Idriss Déby serait mort de ses blessures. Il a été remplacé, dans la foulée, par un conseil militaire dit de transition dont le Général Mahamat Idriss Déby a pris la tête, succédant ainsi à son père, en violation flagrante de la constitution tchadienne. La junte a aussitôt suspendu, tout aussi illégalement, les principales institutions (Parlement, gouvernement) du pays et lui a donné les pleins pouvoirs.
En se rendant au Tchad, Emmanuel Macron, seul chef d’Etat européen présent, a donc non seulement témoigné la plus grande indifférence pour les souffrances du peuple tchadien, mais également apporté la caution publique de la France à un coup d’Etat institutionnel et à une énième succession népotique de père en fils, comme au Togo et au Gabon.
Plutôt qu’un « ami courageux », l’ancien dictateur tchadien a été le symbole de décennies d’aveuglements de la politique française au Sahel . Ainsi avons nous soutenu Idriss Déby lors de sa prise de pouvoir et durant ses 30 années de règne, y compris militairement en intervenant plus ou moins directement à ses côtés pour contenir des attaques rebelles notamment en 2006, 2008 et 2019.
L’un des principaux ressorts de ce soutien français a été celui de « l’homme fort », seul capable d’assurer la stabilité du pays : c’est ainsi qu’au nom de la lutte contre le terrorisme islamiste, nous avons en fait maintenu une dictature, fait d’elle un allié central et fermé les yeux sur les violations massives des droits humains, y compris l’assassinat et la torture, auxquelles elle se livrait régulièrement. Cette vision de l’homme fort qui a déjà pu nous faire pencher du mauvais côté de l’Histoire, comme, par exemple, en Tunisie lors de la Révolution du jasmin, continue d’être à l’oeuvre dans la politique française dans son pré carré africain, notamment au Sahel.
Malheureusement, malgré les dernières déclarations sur le Tchad, rien n’indique que nos dirigeants soient prêts à une nécessaire révision de cette politique. Il est ainsi inquiétant qu’ils se soient, jusqu’ici, bornés à prendre acte du coup d’Etat institutionnel au Tchad sans le condamner.
Toute la stratégie de la France dans l’ensemble du Sahel doit être interrogée. La Parlement doit se saisir de cette question, mettre en place une commission d’enquête, et non une simple mission d’information, afin de dresser un vrai bilan de Barkhane. Les couts humains, (plus de 50 morts parmi les soldats français et des milliers de civils), financier et politique de cette opération militaire extérieure (OPEX) , lancée il y a près de 10 ans, ne cessent de s’alourdir sans qu’aucune issue ne pointe à l’horizon. D’autant que cette opération pose des questions démocratiques. D’une part, elle n’a pas fait l’objet d’un vote du Parlement, comme pourtant l’article 35 de la Constitution le prévoit au-delà de 4 mois d’intervention; d’autre part, elle souligne crument la question des pouvoirs exorbitants du président de la République , qui peut décider seul de l’engagement de nos troupes dans des opérations militaires.
Il est plus que temps de se demander comment être présent au Sahel autrement aussi bien pour nous que pour les populations de la région. C’est d’autant plus urgent que nous sommes à un moment critique au Tchad. Du fait de 30 ans d’impérities, de répressions, d’une vie politique de plus en plus limitée, de captation des richesses par Idriss Déby et son entourage, de gestion calamiteuse et clientéliste des ressources ( tel le pétrole) , le pays (187 ème/189 en terme d’IDH), entre dans une période d’ incertitudes et de graves turbulences le menacent. Le gouvernement français doit résister à une fuite en avant militaire et sécuritaire dont l’efficacité est désormais contestée jusque dans les rangs de l’armée.
En premier lieu, il conviendrait de mettre les actes en accord avec les discours. La France doit faire la démonstration de son réel « soutien à un processus de transition inclusif, ouvert à toutes les forces politiques tchadiennes », sans leur en dicter les modalités, et vraiment contribuer au retour rapide « à l’ordre démocratique » plutôt que d’avaliser et accompagner la prise illégale du pouvoir par une junte militaire.
Il en est de même de l’aide dite au développement accordée au pays. Comme l’a rappelé la Cour des Comptes dans un rapport publié le 22 avril dernier, contrairement aux intentions affichées par la communication gouvernementale, les dépenses militaires au Sahel progressent bien plus vite et fortement que celles dédiées à la stabilisation et au « développement ». Ces dépenses doivent être revues, accrues et pensées dans le but de véritablement contribuer à une gestion des ressources au mieux des intérêts et besoins du pays, avec l’aval des populations.
La France doit sortir de son logiciel sahélien . Le meilleur « rempart » contre l’insécurité terroriste, mais aussi contre l’influence grandissante de certaines puissances, telles que la Russie ou la Turquie, dont on a pu constater ailleurs les effets catastrophiques, ce n’est pas le soutien aux dictatures qui oppriment leur peuple mais de favoriser les exigences des populations en matière économique, politique et sociale.
La France ne peut et ne doit surtout pas porter seule cette ambition. La communauté internationale doit prendre sa part. A commencer par l’Union africaine, mais aussi l’Union européenne et les Nations unies. Elles doivent également être les garantes d’une transition pacifique au Tchad et soutenir une autre vision de la sécurité au Sahel en aidant les sociétés civiles à en être le pivot.
Eva Sas et Alain Coulombel, porte-paroles
La Commission Transnationale d’EELV