A l’issue du 18ème congrès du Parti Communiste Chinois, de légers signes d’ouverture se font sentir avec l’arrivée au pouvoir de la cinquième génération de dirigeants de la République Populaire de Chine. Parallèlement, Pékin s’affirme en tant que puissance navale majeure.
Le 18ème congrès du Parti Communiste Chinois (PCC) a abouti en novembre 2012 à la formation d’un nouveau Bureau politique de 25 membres, parmi lesquels sept constituent le Comité permanent. Fonctionnant au consensus, ce dernier est le véritable lieu du pouvoir chinois, bien au-dessus des postes ministériels.
Impliquant les 24 membres sortants du Bureau politique ainsi que 10 anciens dirigeants, le processus de désignation de la nouvelle direction officielle du Parti s’est déroulé dans une opacité quasi complète[i]. La lutte entre les deux principales factions officieuses du PCC, la clique de Shanghai de Jiang Zemin et la Ligue de la jeunesse de Hu Jintao a été féroce[ii], chacune luttant pour placer ses membres à des postes stratégiques, bien que l’appartenance à un camp tienne plus à des allégeances personnelles qu’à des lignes politiques.
La transition est toujours en cours, seule la composition du sommet du Parti ayant été officiellement actée pour le moment. Le nouveau secrétaire général, Xi Jinping, doit ainsi prendre ses fonctions de Président de la République et de Président de la Commission Centrale Militaire en mars 2013, refermant ainsi la page de la conquête du triptyque Parti-Etat-Armée, dont la domination reste entre les mains d’un seul homme, comme le veut le système en vigueur depuis l’avènement de la Chine Nouvelle en 1949.
Cette nomination à la tête de l’Armée était l’un des enjeux du congrès, la précédente transition entre Jiang Zemin et Hu Jintao ayant vu le président sortant garder une influence politique considérable en retardant de presque deux ans la passation de pouvoir complète à son successeur: cédant ses fonctions de secrétaire général en novembre 2002, Jiang n’abandonna en effet son poste de Président de la Commission Centrale Militaire de l’Armée Populaire de Libération qu’en septembre 2004. Laissant les mains libres à la nouvelle administration, Hu a lui choisi de se retirer au plus vite, peut-être en raison de son échec relatif à placer ses protégés dans le nouvel organigramme.
En bon termes avec Hu Jintao mais ayant lancé sa carrière auprès de Jiang Zemin, Xi fait également partie du groupe informel des princes communistes, ces fils de héros de la révolution ayant abouti à la victoire des communistes en 1949. Ayant passé de nombreuses années de travail à la campagne et subit une rééducation politique le forçant à dénoncer son père, le haut dirigeant Xi Zhongxun, lorsque celui-ci tomba en disgrâce avant puis pendant la Révolution culturelle (1966-1976), il a personnellement gouté à la cruauté du régime totalitaire. Xi pourrait aussi avoir reçu de son éducation familiale une connaissance fine des thématiques touchant aux minorités ethniques tibétaines et ouïgoures.
A Pékin pendant plusieurs mois en 1954 (il fut nommé vice-président du Comité permanent de l’Assemblée Nationale Populaire[iii]), le Dalaï Lama fréquenta Xi Zhongxun, chargé des relations avec les responsables religieux tibétains. Ils entretinrent de bonnes relations et Xi père aurait gardé jusqu’à sa mort la volonté de revoir le chef spirituel tibétain[iv]. Dans le cadre des discussions entre Pékin et les émissaires du Dalaï Lama, il rencontra en 1987 le frère de celui-ci, Gyalo Thondup.
En plus de son histoire familiale, Xi Jinping a été remarqué pour des propos qui, restant dans le spectre très restreint du discours officiel chinois, donnaient de légers signes de conciliation envers les Tibétains et les Ouïgoures[v].
En poste depuis un mois, Xi Jinping tranche par son image relativement sympathique et moderne, en rupture totale avec son austère prédécesseur Hu Jintao[vi]. En lançant une campagne anti-corruption, il a déjà fait preuve d’une plus grande exigence de probité envers le Parti. Il faut toutefois prendre le potentiel d’évolution politique intérieure et internationale par le seul fait d’un individu avec beaucoup de prudence. Le précédent Premier ministre, Wen Jiabao avait lui aussi un curriculum très prometteur du à son statut d’ancien collaborateur du secrétaire général réformateur Zhao Ziyang, qui avait, avant d’être placé en résidence surveillée jusqu’à sa mort, tenter d’imposer une solution pacifique au mouvement étudiant de Tiananmen en 1989[vii].
Comme celui de Président, le poste de Premier ministre avait été attribué à Li Keqiang en 2008. L’enjeu principal de ce congrès concernait donc les noms des autres membres du Comité permanent, rétréci cette année de 7 à 9 sièges.
Bien qu’il n’y ait toujours aucune femme parmi les 25 membres du Bureau politique, une évolution du profil-type du haut-dirigeant chinois s’est opérée à l’ occasion du 18ème congrès. La nomination de Li Keqiang au poste de Premier ministre illustre ce changement dans la mesure où ce n’est pas un technocrate (les huit autres membres du précédent Comité permanent était tous des ingénieurs), et il est le premier avocat et le premier doctorant en économie à accéder à l’organe suprême du Parti. Il avait lui aussi donné des signaux de changement de style en mai 2011 lorsqu’il avait failli au protocole et s’était exprimé en anglais à l’occasion un discours à l’université de Hong Kong. Plus significativement, ses récentes rencontres avec les ONG travaillant avec les malades du SIDA laissent espérer une certaine réceptivité aux idées et organisations issues de la société civile, lui dont la carrière avait été marquée par un scandale de sang contaminé dont il avait étouffé la couverture médiatique.
On compte parmi les cinq autres membres du Comité permanent l’ancien chef de la censure, Liu Yunshan ; un diplômé en économie de l’université Kim Il-Sung de Pyongyang, Zhang Dejiang ; un spécialiste des questions financières, chargé de la discipline interne au Parti, Wang Qishan ou encore le très discret Zhang Gaoli, responsable des affaires économiques.[viii]
Une puissance navale qui montre ses muscles
La fin de l’année 2012 a également vu la Chine franchir une étape importante en termes de capacité militaire, avec l’atterrissage réussi d’avions de chasse de fabrication chinoise (J-15) sur le premier porte-avion chinois, le Liaoning[ix], construit à partir d’un navire soviétique acheté en 1998 à l’Ukraine.
Hautement symbolique, cette opération met la Chine à quelques années de posséder un Groupe naval opérationnel. A titre de comparaison, la France dispose également d’un seul porte-avions, alors que la marine américaine en a 11, dont un basé au Japon.
Malgré ses 120 milliards de dollars de dépenses militaire, la Marine de l’Armée populaire de libération est encore un poids-plume face à des Américains dont le budget militaire est quatre fois supérieur[x] à celui de Pékin. Le rapport de force qui découle de cette domination est particulièrement frappant dans le détroit de Malacca en Asie du Sud-est : 77% des importations chinoises de pétrole brut[xi] transitent par ce passage stratégique contrôlé par les Etats-Unis.
Le contrôle de futures extractions des ressources pétrolières est aussi la cause des tensions en Mer de Chine méridionale et orientale. Au Sud, des accrochages ont régulièrement lieu avec des navires civils et militaires vietnamiens et philippins, ce qui a amené les Etats-Unis à signaler leur présence dans la zone à Pékin, en lançant par exemple des programmes de coopération avec leur ancien ennemi vietnamien.[xii]
A l’Est, l’expansionnisme chinois pour le contrôle des ressources hydrocarbures est exacerbé par le récent retour au pouvoir des conservateurs japonais, dont le nationalisme ne semble pouvoir faire qu’empirer la crise des iles Diaoyu-Senkaku[xiii]. Le Japon subissant la tentation d’un réarmement, potentiellement inconstitutionnel, notamment en développant un programme navires de porte-hélicoptères de « défense »,[xiv] les perspectives de calme dans les relations sino-japonaises à moyen et long-terme sont faibles.
Arthur Vincent
[i] China’s backroom power brokers block reform candidates, Reuters Beijing, 21 novembre 2012
http://www.scmp.com/news/china/article/1087355/chinas-backroom-power-brokers-block-reform-candidates
[ii] Le Parti communiste, un parti pas si unique, Thomas Baïetto, France TV Info, 15 novembre 2012
http://www.francetvinfo.fr/chine-le-parti-communiste-un-parti-pas-si-unique_146817.html
[iii] Dragon in the Land of Snows: A History of Modern Tibet Since 1947. Tsering Shakya, London: Pimlico. 1999
[iv] Chine : le prochain numéro un, prince et fils du peuple, Ursula Gauthier, Nouvel Observateur, 9 octobre 2012
[v] Does China’s next leader have a soft spot for Tibet?
Benjamin Kang Lim and Frank Jack Daniel, Reuters, 31 aout 2012 http://in.reuters.com/article/2012/08/31/china-tibet-xi-jinping-idINDEE87T0IC20120831
[vi] Roll back red carpets, Xi tells senior leaders, Reuters in Beijing, 4 décembre 2012
http://www.scmp.com/news/china/article/1097492/xi-demands-fewer-empty-words-less-show-leaders
[vii] Zhao Ziyang, Mémoires, Un réformateur au sommet de l’Etat. Seuil. 2011
[viii] Seven men who rule a billion, South China Morning Post, 16 novembre 2012
[ix] China’s Liaoning aircraft carrier completes test-landing of jets, Choi Chi-yuk, South China Morning Post (Hong Kong), 26 novembre 2012
[x] China’s increasing military spending unnerves neighbors, Keith Richburg, Washington Post, 23 octobre 2012
[xi] Agence Internationale de l’Energie, février 2011
http://www.iea.org/newsroomandevents/news/2011/february/name,19779,en.html
[xii] Le Pentagone compte sur le Vietnam pour contrer Pékin, Arnaud de La Grange, Le Figaro , 4 juin 2012
[xiii] Chinese diplomacy in holding pattern before Xi takes over, Terry Ng, South China Morning Post, 24 novembre 2012
http://www.scmp.com/news/
[xiv] Chine-Japon : vers une « guerre » des porte-avions ? Edouard Pflimlin Le Monde 25 septembre 2012