Compte-rendu synthétique* de la réunion du groupe Afrique EELV du 17/03/2014
consacrée à la question LGBT
Avec la participation de la commission LGBT EELV
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Alors que l’actualité des mois précédents (tortures et condamnations contre des homosexuels au Cameroun, lois homophobes votées en Ouganda et au Nigeria, etc.) rappelle l’urgence d’une réflexion et d’une action politique en la matière, EELV publie le 17/03/2014 une déclaration programmatique intitulée LGBT : protéger les personnes, amorcer la dépénalisation universelle.
Cette réunion du groupe Afrique EELV entend approfondir cette démarche. Elle est expressément ouverte aux membres de la commission LGBT d’EELV et aux personnes intéressées par le sujet même si non adhérentes ou coopératrices d’EELV. Elle se donne pour but d’avancer sur les deux interrogations suivantes :
– Que faire pour développer un cadre juridique et politique apte à améliorer la sécurité et l’épanouissement des personnes LGBTI conjointement en Afrique et en Europe ?
– Comment engager, en lien avec des défenseurs africains des droits humains et des acteurs du mouvement LGBT, la rédaction d’un mémorandum détaillé sur la nécessité économique, sanitaire et sociale de garantir les droits humains des personnes LGBT en Afrique et partout dans le monde, ainsi que l’élaboration d’une stratégie pour la porter dans les instances internationales ?
Pour ce faire, nous recevons et discutons avec Anne Crémieux, maîtresse de conférences à l’université de Paris Ouest-Nanterre et coordinatrice du dernier numéro de la revue Africultures consacré aux « Homosexualités en Afrique » (décembre 2013), à consulter intégralement au lien suivant
http://www2.africultures.com/php/index.php?nav=livre&no=14520
Principaux discutant/es : Robert Aarsse, Emmanuel Bailles, Régis Essono, Alexis Frémeaux (cabinet Pascal Canfin alors ministre délégué au Développement), Gilles Kleitz (cabinet Pascal Canfin alors ministre délégué au Développement), Paul Martial (Afriques en lutte).
Analyse :
Dans des situations socialement diverses selon les pays, la loi a le pouvoir de garantir la non-discrimination
Anne Crémieux
L’Afrique est un vaste continent dont on ne peut résumer simplement la politique en matière d’homosexualité tant les situations sont partout spécifiques. Cependant, les arguments contre l’homosexualité se ressemblent d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre, on entend partout les mêmes arguments homophobes et les militants y apportent des réponses similaires.
Contrairement à une idée reçue, on ne peut pas dire que l’homosexualité est mieux acceptée par les pays plutôt chrétiens ou plutôt musulmans, par les pays colonisés par les Britanniques, les Français, ou d’autres Européens. Il n’y a aucune règle de la sorte. La sévérité de l’Ouganda, par exemple, comparée à ses voisins dont les situations économiques ou historiques sont similaires, ne s’explique pas autrement que par la décision politique du moment et le montage d’une campagne homophobe dont les inspirations sont multiples et largement partagées sur le continent. Ainsi, l’homophobie est une forme de rejet de l’autre à laquelle se mêlent le rejet du néo-colonialisme (l’homosexualité viendrait d’ailleurs), de la pauvreté (l’homosexualité aurait un attrait économique par la prostitution auprès des touristes), de la corruption du pouvoir (les élites propageraient l’homosexualité par la promotion canapé spécifiquement homosexuelle). Ces arguments peuvent pourtant tous être retournés : l’homophobie est soutenue par des forces néo-coloniales (les évangélistes américains et européens financent des églises très homophobes), elle crée de la pauvreté (rejet des enfants par les familles), et la corruption du pouvoir est bien plus étendue que son homosexualité supposée (le harcèlement sexuel est certainement plus hétéro qu’homo). Comme le montre très bien Louis-Georges Tin dans son texte introductif du numéro d’Africultures consacré aux « Homosexualités en Afrique », l’homosexualité est aussi perçue partout comme récente, alors que partout l’on peut démontrer son existence ancestrale, y compris grâce à des textes parfaitement homophobes écrits par des colons que les mœurs locales intriguent. En réalité comme le remarque l’avocate camerounaise Alice Nkom, ce qui est récent, c’est l’homophobie d’Etat et les lois homophobes pour la plupart issues des codes civils coloniaux largement conservés lors des indépendances.
Partout le militantisme est une activité dangereuse qui requiert un grand courage et qui, par la même occasion, est une forme de libération et d’épanouissement sans pareille. Par ailleurs, le cas de l’Afrique du Sud est partout une source de fierté et à la fois, le symbole des limites de ce que la loi peut faire quand les mentalités ne suivent pas toujours : ce pays est à la pointe de la législation mondiale puisque la non-discrimination non seulement en matière de sexualité mais également d’identité de genre est inscrite dans sa constitution de 1996.
Le tout premier combat est celui de la loi. On pourrait imaginer des pays où les lois sont dures mais où elles ne sont pas appliquées, c’est d’ailleurs ce qu’imaginent beaucoup de citoyen/nes qui ne voient pas les conséquences de la loi car ils et elles ne sont pas directement concernés. Mais le premier combat, de la Tunisie au Cameroun, en passant par la Côte d’Ivoire et le Ghana, c’est que la loi ne condamne pas car les dérives sont multiples et réelles. Le deuxième, c’est que la loi protège. Le troisième, c’est que les mentalités suivent, bien sûr, jusqu’à imposer — car c’est toujours un combat — l’égalité.
Par ailleurs, la victoire passera par les alliances avec les hétéros, leur soutien, leur combat. Des personnes comme Maître Alice Nkom au Cameroun sont capitales et luttent depuis leur point de vue de personne hétérosexuelle. Ce sont des questions de droits humains et cela touche donc tous les humains.
Il est frappant que les lesbiennes et les trans sont largement invisibilisés. Partout, on parle des hommes ; la loi dans les faits condamne les hommes, tandis que les femmes sont davantage jugées en privé. Les hommes trans sont assimilés aux lesbiennes, les femmes trans aux gays, et leur existence crée partout l’incompréhension et le plus souvent, la condamnation au même titre que les lesbiennes et les homos. Quand la société leur fait ce qu’on appelle une place, c’est-à-dire leur assigne un rôle social et/ou religieux, c’est toujours une place très circonscrite qui les marginalise. Enfin, ces catégories mêmes de « lesbiennes », « gays », « trans », de personnes « LGBT » ou « queers » sont souvent perçues comme importées d’Occident, c’est d’ailleurs pourquoi le titre du numéro est « Homosexualités », au pluriel, pour utiliser un terme relativement neutre et englobant.
Enfin, partout il faut prouver l’existence historique de l’homosexualité, et on y arrive, et démonter les arguments culturels. On trouve des références à l’homosexualité dans les écrits des grands poètes arabes comme dans les contes d’Afrique centrale. C’est une évidence et pourtant, il est nécessaire de le rappeler et de faire des recherches minutieuses, rigoureuses, pour démontrer ce qui est nié. D’après moi, ces recherches paraîtront un jour absurdes, je l’espère en tout cas, comme celles qui tentaient de prouver l’intelligence égale des Noirs ou des femmes dans le passé, tandis que de nombreuses autres démontraient le contraire. En Europe, on en est encore à démontrer que les parents LGBT ne sont pas plus nocifs à leurs enfants que les hétéros. Inversement, il faut encore retourner dans la Bible et le Coran pour montrer que les interprétations homophobes font dire bien plus au texte que ce que l’on y trouve. Paloma Negra donne les sources très limitées de la condamnation de l’homosexualité dans le Coran, encore plus limitées que dans la Bible où les villes de Sodome et Gomorrhe sont détruites pour des pratiques sexuelles qui restent condamnables aujourd’hui, soit le viol d’étrangers et autres comportements non consensuels. Voilà des idées reçues que l’on retrouve sur tout le continent et dans d’autres régions encore, quelle que soit la religion à laquelle elles sont rapportées, le plus souvent de manière erronée.
Pour conclure, on a l’impression, au vu des récentes lois en Ouganda ou au Nigeria, que la situation régresse. En même temps, l’Afrique n’est pas coupée du monde et l’évolution en Amérique du Sud, en Asie, en Amérique ou en Europe joue un rôle important. Les populations LGBT ont la possibilité par la télévision et la production culturelle en général de se retrouver ailleurs et de se penser autrement. Les militants sont effrayés, mais aussi galvanisés par l’extrémité de certaines situations. En tout cas, on parle beaucoup de ces questions, on dénonce l’homophobie comme une atteinte aux droits humains, on réfléchit à comment faire pression, à comment désamorcer la véritable « guerre des cultures » qui s’est engagée entre les pays où la tolérance l’emporte et les pays où l’homophobie fait la loi. Ces longues formules sont nécessaires car on ne peut pas parler de pays gay-friendly contre pays homophobes. On voit bien en France que rien n’est gagné et que le gouvernement, qui est plutôt gay-friendly, reste frileux et ne fait pas l’unanimité. Les lois homophobes ne font pas non plus l’unanimité en Afrique et le gouvernement de Mandela a montré qu’on pouvait promulguer des lois qui respectent la diversité de sexualité et de genre sans pour autant faire basculer le pays dans le chaos. Et si rien n’est jamais gagné, alors forcément, rien n’est jamais perdu non plus.
Alexis Frémeaux
Il faut également prendre la mesure de la popularité des lois homophobes en Afrique aujourd’hui. La loi homophobe nigériane, par exemple, est très populaire. Le président Jonathan Goodluck l’a d’ailleurs promulguée car c’était selon lui un moyen de ressouder un pays actuellement divisé sur les plans politique et géographique.
Propositions :
Agir concrètement, financièrement et légalement pour l’abolition de toutes les discriminations
Régis Essono
Conjointement à la déclaration EELV publiée ce jour, le groupe Afrique EELV a élaboré un plan de travail sur la question LGBTI. Son approche en trois temps (1. L’Homophobie en Afrique, une réalité inquiétante ; 2. Lutter contre l’homophobie, une nécessité pour l’Afrique ; 3. Quelles solutions ?) vise notamment à désoccidentaliser le regard porté sur la question LGBT en Afrique. Il s’agit non pas d’attendre des sociétés africaines qu’elles se conforment à un idéal de société majoritaire en Europe occidentale en ce début de XXIe siècle, mais d’intégrer la lutte contre les discriminations LGBT dans : 1) une action sanitaire et sociale qui ne peut que profiter sur le plan économique aux pays qui la mettraient en œuvre ; 2) un corpus de revendications plus larges sur les droits des minorités et le respect des droits humains.
(Télécharger le Plan de travail du groupe Afrique EELV pour lutter contre l’homophobie)
Anne Crémieux
La bataille légale, celle pour l’égalité des droits ou du moins pour la non-discrimination, est sans doute la mère des batailles. Mais elle ne peut se gagner que par un travail de sensibilisation des sociétés africaines aux enjeux de l’égalité. Pour ce faire, il faut avant toute chose communiquer, faire connaître les souffrances des homosexuel/les africain/es discriminé/es ou violenté/es ; prendre appui également sur quelques personnalités populaires du monde de la culture qui revendiquent la défense des droits LGBT. Il faut aussi, et surtout, soutenir les communautés plus ou moins informelles d’accueil des personnes LGBT en Afrique (de certaines équipes féminines de football au Ghana à des groupes ouvertement LGBT), sur le plan à la fois financier et politique. Ce soutien peut passer par des partis politiques ou des ONG en Afrique mais aussi en Europe. Si une action est envisagée depuis l’Europe, elle ne peut se passer du soutien actif de membres nombreux de la diaspora africaine. Il faut aussi absolument penser aux conséquences de toute aide qui serait trop « visible » car cela peut vraiment se retourner contre les personnes que l’on souhaite aider.
Gilles Kleitz
Comment être efficace en matière de protection des personnes LGBT en Afrique ? Il faut agir avec discernement car, depuis une vingtaine d’années, de l’argent a été mis dans de nombreuses initiatives et certaines se sont révélées contre-productives. Depuis le début de la mobilisation LGBT dans les années 1990 en Afrique, nous avons maintenant le recul nécessaire pour savoir ce qui a fonctionné ou non, et notamment une grande vigilance sur les problèmes d’instrumentalisation des soutiens extérieurs aux associations LGBTI nationales africaines.
Notre première démarche devrait se tourner vers la quinzaine de groupes LGBT qui se sont structurés ces vingt dernières années pour aller chercher davantage de sécurité et de droits. Par exemple au Zimbabwe dans les années 1990, environ 600 homosexuels de toutes origines (Shona, Ndebele, Blancs, étrangers…) ont lutté ensemble contre la politique de répression mise en place par le président Robert Mugabe. L’ONG néerlandaise Hivos leur est venue en aide en montant une initiative de renforcement des capacités des associations oeuvrant pour la promotion des femmes, pour la lutte contre le sida et pour la promotion des droits LGBT. Une des revendications importantes de la communauté homosexuelle au Zimbabwe après les déclarations homophobes et haineuses de Robert Mugabe était alors d’avoir accès à un espace de sécurité : d’abord de pouvoir louer une maison, puis d’acheter une maison. Ce lieu a existé, existe toujours, et a permis à une communauté de vivre selon ses aspirations, ainsi que d’élaborer une pensée et une action politique, en participant notamment activement à l’initiative Behind the Mask.
Il faut aussi tirer les leçons de ce qui n’a pas marché ainsi que des initiatives lancées sur la base de bonnes idées mais qui ont fini par être dévoyées.
Robert Aarsse
Lorsque j’ai été travaillé dans divers postes diplomatiques néerlandais en Afrique, j’ai eu l’occasion de mettre en œuvre des micro-financements (maximum 10 000 euros) à destination des associations de défense des droits LGBT. Cette action discrète et parsemée a montré plus d’une fois son efficacité, d’autant que 10 000 euros permettent de faire beaucoup dans la plupart des pays africains.
Sur la base de mon expérience de diplomate en Afrique, il me semble que l’oppression contre les homosexuel/les n’est qu’une des facettes de l’oppression générale qui pèse contre les personnes les plus faibles dans des pays où le droit positif reste peu affirmé parce que trop récent ou ne bénéficiant pas d’un appareil d’Etat suffisamment efficace pour le mettre en œuvre. Il faut ainsi concevoir la lutte contre les discriminations LGBT comme une lutte globale contre toutes les discriminations ou oppressions : contre les violences faites aux femmes, contre la criminalisation de certains comportements sexuels non violents, contre le mariage forcé à 8 ans, etc.
Emmanuel Bailles
Une hypocrisie sociale développée autour de l’homosexualité, tant en Afrique qu’en France, conduit parfois des personnes homosexuelles à avoir une vie maritale hétérosexuelle afin de s’affranchir d’une norme sociale, cela avant de pouvoir vivre selon ses sensibilités. L’éducation à la citoyenneté, notamment à l’école primaire, en tant qu’acceptation des différences, pourrait jouer là un rôle important dans les sociétés, quels que soient les continents.
Paul Martial
Il me semble que sur le fond, nous devrions viser deux objectifs :
– convaincre les gouvernements africains de l’utilité économique et sociale d’abolir les discriminations à l’encontre des personnes ayant des comportements LGBT ;
– lutter pour l’égalité des droits et notamment pour l’intégration de la liberté d’orientation sexuelle dans les droits humains, car elle n’y figure pas explicitement.
Sur la méthode, nous devrions nous adresser aux grandes organisations de masse africaines comme l’ANC (African National Congress) ou la Cosatu (Congress of South-African Trade Unions) et leur demander quelle a été leur méthode d’éducation populaire en la matière.
Gilles Kleitz
Si on doit différencier les niveaux de réflexion et d’intervention, il me semble que trois démarches sont nécessaires :
1) L’urgence : protéger les personnes, et pour cela agir via les réseaux verts, les appuis ponctuels à des individus en danger, et le soutien via la société civile africaine.
2) Le moyen terme : accroître l’implication de la communauté internationale sur les questions de non-discrimination LGBT. En France par exemple, les ONG de solidarité internationale sont très peu investies dans la lutte contre l’homophobie dans les pays du Sud. De même, la part consacrée à la non-discrimination LGBT dans l’aide publique au développement française est microscopique, avec un montant total de 50 000 à 60 000 euros, ce qui est très inférieur aux montants investis pour les droits humains par d’autres coopérations bilatérales. Là encore, les appuis aux associations africaines peuvent être constructifs et utiles, moyennant de vrais partenariats et des précautions pour éviter notamment l’instrumentalisation par les pouvoirs homophobes en place. Il faut créer un discours fédérateur autour des questions LGBT pour le diffuser davantage auprès des ONG et demander l’augmentation de ce montant, et la capitalisation sur les approches qui ont produit les résultats les plus intéressants.
3) Le long terme : faire progresser le droit. En la matière, deux objectifs doivent être visés : dépénalisation des comportements LGBT et intégration de la liberté d’orientation sexuelle dans les droits humains. L’abolition des discriminations sur le plan légal permettra à plus long terme encore de les abolir également sur le plan familial et social. Les actions au niveau de pays choisis, toujours au travers des mobilisations nationales, ainsi qu’auprès des Nations unies, par la diplomatie française, peuvent être combinées.
* Parmi ses choix éditoriaux, le groupe Afrique EELV a décidé de ne pas publier les interventions qui lui semblent contraires aux valeurs de la charte des Verts Mondiaux, laquelle entend « créer une nouvelle citoyenneté basée sur l’égalité des droits pour tous dans toutes les sphères de la vie sociale, économique, politique et culturelle ».