Débat sur l’intervention française au Mali
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Mercredi 16 janvier s’est tenu un débat au Sénat sur l’engagement des forces armées en réponse à la demande d’intervention militaire formulée par le Président du Mali (en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution).

Au nom du groupe écologiste, Leila Aïchi a réitéré le soutien à l’intervention française au Mali. Elle a toutefois émis de nombreuses réserves, à commencer par la réfutation de l’approche civilisationelle de la « guerre contre le terrorisme », rappelant au contraire l’origine largement environnementale des tensions dans la région.

Ainsi, elle a insisté sur le nécessaire changement de paradigme à effectuer dans notre analyse des conflits. Développer une approche environnementale permettrait d’anticiper au mieux les tensions – souvent liées à des questions de partage des richesses, et de définir une politique de coopération et de développement en mesure de limiter, à terme, l’éclatement de conflits armés.

Voici le texte de son intervention (seul le prononcé fait foi) :

« Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le Président de la Commission,

Mes cher-e-s collègues,

Tout d’abord, je tiens une nouvelle fois, au nom du groupe écologiste,  à présenter mes condoléances à la famille du lieutenant BOITEUX et à l’ensemble des civils tués dans les opérations.

Dans les périodes de crise intenses, nos compatriotes attendent des réponses claires.

En ce sens, le groupe écologiste du Sénat et moi-même reconnaissons la licéité de l’intervention française au Mali, au regard des relations bilatérales entre nos deux pays, et soutenons nos femmes et nos hommes engagés dans cette opération.

Toutefois, au regard du droit international, les trois résolutions votées à l’ONU ((2056, 2071, 2085), ouvrent la voie à une intervention internationale sous responsabilité africaine et pouvant faire usage de la force, mais sans implication directe de la France.

Il est donc urgent de nous conformer au droit international.

Pour autant, la clarté de notre décision ne s’inscrit pas dans la simplification à outrance ou la caricature d’une situation géopolitique très complexe.

« Faire la guerre contre le terrorisme  partout où il se trouve» est une formulation trop stéréotypée voire fausse pour appréhender de manière exhaustive une problématique malienne et régionale multifactorielle, et complexe je le répète.

Souvenons-nous du funeste exemple des néo conservateurs américains et du concept plus que douteux de la « guerre contre la terreur ».

Quelle a été la plus-value de cette stratégie en Iraq en 2003 et en Afghanistan en termes de sécurité ? Les populations civiles ne connaissent – hélas – que trop bien le coût exorbitant de telles idées.

I] D’ailleurs, avons-nous les moyens d’une telle ambition ? Dans ce cas, pourquoi ne pas tirer les conséquences de vos analyses et multiplier le budget de la défense par cinq ?

De même, je vous rappelle que nous évacuons nos troupes d’Afghanistan, après 10 ans de guerres, avec des résultats plus que mitigés…

Pour ma part, je ne souscris en rien au concept du choc des civilisations, alors même que nous savons tous ici qu’il s’agit essentiellement d’un problème d’accès aux matières premières et à l’énergie.

Je ne crois pas non plus au caractère irréconciliable d’un nord mali touareg opposé à un sud mali noir.

De même, l’antagonisme historique entre une culture nomade et une culture sédentaire ne doit pas être exagérée.

Le prétexte religieux souvent utilisé pour des entreprises criminelles, dont l’essentiel est lié au trafic d’armes et de drogue, ne peut en aucun cas servir d’argument sérieux.

Le groupe écologiste et moi-même sommes pour le principe d’une intervention immédiate, urgente, humanitaire, et limitée dans le temps et contre le principe d’une guerre qui s’installe dans la durée.

Nous ne devons pas minorer les risques pour la population malienne, ni sous-estimer les risques pour les Etats de la région, et ignorer les perspectives internes au Mali pour l’après-conflit.

Quel sort sera réservé aux réfugiés ?

La possibilité d’exactions contre la population touareg est plausible, compte tenu du peu de formation de l’armée malienne et des forces de la CEDEAO.

La situation explosive de la Lybie, de la Côte d’Ivoire, et d’autres pays, doit nous imposer de réfléchir et de proposer dès à présent des solutions pour l’après-conflit.

II] En tant qu’écologistes et progressistes, nous rejetons avec véhémence toute approche essentialiste des identités, car nous savons où cela mène…

Souvenons-nous du Rwanda mes cher-e-s collègues.

Nous devons donc nous défier de toute lecture ethnique trop simpliste, et nous attaquer aux réels problèmes qui minent le Mali.

Et ils sont nombreux !

Gagner un conflit, c’est d’abord gagner la paix. Car le pouvoir malien est en pleine décrépitude…

Qui gouverne le pays ?

Le pouvoir civil ? La junte militaire ?

Qu’en est-il de l’état du système judiciaire malien, de son administration, de ses services publics ?

Quel est le niveau de corruption institutionnel ?

QUEL EST LE ROLE DES ACTEURS REGIONNAUX ? QUEL EST LE ROLE DE L’ALGERIE ?

Pour répondre à toutes ces questions, la France et l’Europe, dramatiquement absente, doivent d’abord porter leur concours à la mise en place d’institutions légitimes et démocratiques pérennes, répondant aux aspirations de la société civile.

On a fait l’Europe des banques et de la finance.

Où en est l’Europe de la défense ?

De même, des plans de coopération pour le développement d’économies réellement durables et solidaires doivent constituer une priorité, et je tiens à saluer le travail de Pascal Canfin sur ce sujet.

Il ne s’agit pas de l’installation de multinationales voraces pillant le pays, mais bien d’un développement solidaire et durable des PME et TPE françaises et maliennes dans le cadre d’un partenariat équitable.

Il ne faut pas oublier non plus que cette crise est une conséquence historique du colonialisme dans la région et du tracé arbitraire des frontières.

La prise en compte de cette dimension est essentielle à tout processus de sortie de crise.

III] Enfin, il faut aussi prendre la mesure de la problématique environnementale dans la sous-région sahélienne.

Comme le rappelle la FAO, la sécheresse, générée par le dérèglement climatique, a, en 2012, réduit la production céréalière du Sahel de 26 pour cent par rapport à l’année précédente[1].

De graves pénuries de fourrage conduisent à la transhumance précoce et à des changements dans les voies empruntées par le bétail, ce qui aggrave les tensions entre communautés et aux frontières.

L’insécurité alimentaire et la malnutrition sont récurrentes dans la région avec plus de 16 millions de personnes directement menacées cette année.

Mes cher-e-s collègues, je ne le répèterai jamais assez, la paix et l’environnement sont plus que jamais liés au XXIème siècle.

Combien faudra-t-il de drames humains pour que la France et l’Europe comprennent cette triste réalité ?

Que dire de l’exemple du Darfour, dont l’origine du conflit trouve sa source dans un problème d’accès à l’eau ?

Du delta du Niger ?

Ou encore, de la Somalie  où les phénomènes de surpêche, principalement dus aux bateaux usines des multinationales, créent des pirates en puissance ?

Monsieur le Ministre, les conflits du XXIème siècle ne sont plus les conflits du siècle précédent.

Le monde a évolué. Pas notre vision en matière de conflits militaires. Les conflits liés aux guerres territoriales cèdent la place aux conflits de nature environnementale et énergétique.

J’ai interpellé plusieurs fois le gouvernement sur ce nécessaire changement de paradigme, sans résultat.

IV] L’opération SERVAL est une nouvelle démonstration de 50 années d’échec de la coopération avec l’Afrique.

50 ans de pillage des ressources naturelles

50 ans de développement gangréné par la corruption.

50 ans d’incapacité totale à construire des relations durables, respectueuses, et équilibrées.

Bref, 50 ans sans vision.

Le drame qui se déroule aujourd’hui nous impose de remettre en question nos relations franco africaines.

Mes chers collègues, sachez-le, les réfugiés climatiques d’aujourd’hui seront les révoltés de demain !

Mes chers collègues, nous avons la responsabilité historique de mettre en œuvre des instruments de prévention écologique des conflits.

Je vous remercie. »