Eva Joly répond à la Plateforme des ONG Françaises pour la Palestine
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Note publiée le

1-Reconnaitrez-vous de manière bilatérale l’État de Palestine ?

Aujourd’hui, plus de 120 Etats ont reconnu la Palestine comme Etat à part entière. Parmi eux, figurent huit1 Etats Membres de l’Union européenne qui avaient réagi positivement à la déclaration d’indépendance de la Palestine du 15 novembre 1988. L’accord conclu entre le Parti Socialiste et EELV stipule que la République française reconnaîtra l’Etat de Palestine et défendra le droit de l’Etat d’Israël à vivre en sécurité. Cet engagement, je le fais mien, il est dans le droit fil de toutes les résolutions des Nations Unies sur la question.

 

2-Soutiendrez-vous l’entrée de plein droit de l’État palestinien aux Nations Unies ?

Cette demande est légitime. La question de la reconnaissance de l’Etat palestinien n’est pas un élément nouveau. Elle a déjà été évoquée à de nombreuses reprises : à la fin de la période intérimaire prévue par les Accords d’Oslo dans la Déclaration de Berlin de 1999, par la feuille de route pour la Paix adoptée par le Quartette en 2003 qui appelait à la création en 2005 d’un Etat palestinien indépendant. La Conférence internationale d’Annapolis en 2007 évoquait la création d’un Etat palestinien dans un délai de un an. Toutes ces promesses n’ont jamais été tenues.

Je pense que la demande de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de devenir le 194e état des Nations Unies de plein droit arrive après de longues années de négociations infructueuses et un processus de paix au point mort. De plus, cette demande coïncide avec deux évènements importants : d’une part l’aboutissement d’un processus politique interne à la Palestine ; d’autre part avec des échéances fixées par la Communauté internationale: la fin de la période d’un an prévue par le Quartet pour les négociations de paix et l’anniversaire de la déclaration de Barack Obama prononcée devant l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2010 évoquant son souhait d’accueillir en 2011 « un Etat de Palestine indépendant, vivant en paix avec Israël ».

Les résultats du processus politique interne, c’est-à-dire, la construction des institutions du futur Etat palestinien tel que prévu dans le plan « Palestine fin de l’occupation, établissement d’un Etat » lancé en aout 2009 et la signature d’un accord de réconciliation intra-palestinien représentent pour moi des facteurs décisifs plaidant en faveur de la reconnaissance d’un Etat palestinien indépendant. A ce titre, il faut rappeler que lors de sa conférence du 13 avril dernier, le Comité de liaison Ad Hoc des donateurs a reconnu, sur la base des rapports de l’ONU, de la Banque mondiale et du FMI, que les Palestiniens avaient dépassé le seuil d’un Etat fonctionnel dans les secteurs clefs et que « les institutions palestiniennes soutenaient désormais avantageusement la comparaison avec celles des Etats qui existent ». En cela, le futur Etat palestinien remplit formellement toutes les conditions requises juridiquement pour solliciter sa reconnaissance auprès de la plus haute instance internationale.

Par ailleurs, la signature le 3 mars 2011 d’un accord de réconciliation entre les mouvements du Fatah et du Hamas met fin à une division à la fois du territoire et du peuple palestinien qui fragilisait et affaiblissait les velléités de l’Autorité palestinienne et ouvre ainsi une nouvelle voie aux Palestiniens.

Outre les questions d’ordre sécuritaire, qui ont toute leur importance dans ce processus de réconciliation (construire dans la durée des services de sécurité professionnels et apolitiques), cet accord prévoit notamment la formation d’un gouvernement d’unité nationale formé d’indépendants suivie par des élections à tous les niveaux organisées dans un délai raisonnable.

J’agirai donc pour que la France se prononce positivement au sein du Conseil de sécurité pour la reconnaissance de plein droit de l’Etat Palestinien. La position abstentionniste prise par la France à la dernière réunion du Conseil de Sécurité n’est pas cohérente ni avec la politique affichée par le Président de la République ni avec le droit international qu’elle devrait contribuer à mettre en œuvre.

 

3-Quelles mesures restrictives comptez-vous mettre en place en ce qui concerne l’importation de produits des colonies importés en France et dans le reste de l’Union européenne, êtes-vous prêts à les interdire ?

-Quelles mesures comptez-vous prendre pour dissuader les entreprises françaises et européennes impliquées dans la colonisation israélienne ?

Je considère qu’il est du devoir de chaque pays de respecter ses engagements en matière de droit international et de rappeler à un pays tiers et, en l’occurrence à Israël, l’ensemble de ses engagements en matière de droit international, de droits de l’homme et de droit international humanitaire.

Comme vous le savez, l’accord d’association France-Israel est un cas concret qui constitue un lévier légal pour rappeler Israel à ses obligations et l’Union Européenne à ses devoirs.En effet, l’article 83 et le protocole 4 de cet accord définissent l’application juridique de l’accord pour Israël dans ses frontières de 1967. Or, dans sa mise en œuvre, Israël considère les colonies comme partie intégrante de son territoire et applique aux colonies l’accord d’association. Le cas qui illustre au mieux ce phénomène est celui de l’exportation de produits en provenance des colonies, sous label israélien, dans le but de bénéficier de réduction ou d’exemption de droits de douane à l’entrée des Etats de l’Union.

Si généralement l’Union condamne dans ses déclarations les violations du droit international commises par Israël dans le cadre du conflit, elle ne tire aucune conséquence juridique concernant par exemple sa non mise en œuvre de l’article 2 de l’accord d’association. Le groupe Vert du parlement européen dans la mandature antérieure s’est prononcé pour un gel de l’accord d’association tant qu’Israël ne respecte pas les engagements pris.

Je m’engage à interpeller la Commission pour infraction au droit communautaire et inaction dans ce domaine et les Etats membres pour non-application des dispositions de l’accord d’association en matière de droits de douane. En France, je m’engage également à renforcer les contrôles douaniers, puisqu’ils s’exercent au niveau national, sur les produits provenant d’Israël. D’ailleurs je fais miennes l’ensemble des recommendations du rapport des Consuls européens à Jerusalem en 2011.

Je me prononcerai pour que la promotion des droits de l’homme, considérée comme un des objectifs de l’Union, soit appliquée à la lettre dans toutes les politiques de l’Union, y compris dans sa politique commerciale. Les produits issus des colonies devraient par conséquent ne pas être exportables sur le marché européen.

Par ailleurs, les violations des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés constituent une violation de l’article 2 de l’accord d’association. Une procédure pour non-respect de la clause devrait de fait être initiée par la Commission européenne, gardienne des Traités, ou conformément à l’article 79 de l’accord, par le Conseil qui, en tant que partie à l’accord, peut si l’autre partie « n’a pas satisfait à une obligation découlant du présent accord, prendre les mesures appropriées ». Cependant, force est de constater l’inaction de la Commission. Celle-ci pourrait faire l’objet d’un recours en carence devant la CJCE, recours qui sanctionne le défaut d’action d’une institution. C’est le rôle que je conçois du président de la république française, dans son action à l’échelle européenne et internationale.

A mon avis la campagne citoyenne menée en France et dans d’autres pays européens contre les entreprises qui travaillent dans les colonies est juste. Veolia et Alsthom par exemple participent à la construction et à la gestion du tramway qui relie Jérusalem et certaines colonies. Cette construction progresse sur un territoire en dehors de toute légalité. Elle viole non seulement la Convention de Genève, mais également les résolutions du Conseil de sécurité qui s’est prononcées contre l’annexion des territoires palestiniens en Cisjordanie.

De la même manière, la lutte contre la cession d’une partie du port de Sète à l’entreprise israélienne Agrexco, qui travaillait dans les colonies, était appuyée par les écologistes et les élus EELV du conseil régional. Aujourd’hui cette entreprise est en liquidation judiciaire et ne viendra pas en France.

Je considère que toutes les campagnes de la société civile pour la moralisation du commerce international sont fondamentales. Elles ont donc mon appui. De même, je soutiens le travail qui est fait par certains parlementaires européens (dont celles et ceux du groupe des Verts/ALE) pour alerter le Conseil et la Commission sur les contrats passés avec une société qui travaille pour maintenir la colonisation et assure en même temps la sécurité des bâtiments du Parlement européen à Bruxelles.

Je m’engage à faire en sorte que les entreprises qui participent aux activités de colonisation ne puissent pas avoir de contrats avec l’Etat français et à veiller à ce que ceci soit vrai également au sein de l’Union Européenne. Ainsi,  le cas de l’entreprise G4s, qui assure la sécurité dans les check points et celle des bâtiments du parlement européen à Bruxelles, est inacceptable. Après la campagne d’opinion et l’intervention de parlementaires européens et du groupe vert/ALE auprès du président Buzek, la société G4s s’est engagée à cesser ses activités dans les colonies.

 

 

4-Etablirez-vous une transparence dans la coopération militaire entre la France et Israël, et un moratoire tant qu’elle ne sera pas établie ?

Les écologistes se prononcent résolument pour une politique cohérente qui mette en accord les déclarations et les actes. On ne peut pas se prononcer contre la politique de colonisation de la Cisjordanie et contre le blocus de Gaza, et continuer à aider l’économie d’Israël. On ne peut pas se déclarer pour des négociations en vue d’une paix dans la région et continuer à vendre des armes à Israël (qui possède déjà une des armées les plus puissantes du monde).

Les écologistes que je représente sont favorables d’une manière générale à une régulation et une moralisation du secteur de l’armement et de la coopération militaire. Il s’agira, pour ma part, de renforcer le contrôle des ventes d’armes par la représentation nationale et de rendre l’information plus transparente dans la coopération militaire. Les armes françaises ne doivent plus servir à faire la guerre dans d’autres régions du monde.

Ces principes de régulation, de transparence et de débat démocratique en matière militaire seront mes objectifs. Ceci vaut pour la coopération militaire avec Israël comme avec les autres pays du monde.

Par ailleurs, je suis pour une reconversion à terme de l’industrie d’armement conventionnel et nucléaire et ceci dans le cadre national et je souhaite l’impulser aux niveaux européen et mondial.

 

 

5-Que comptez-vous faire pour la levée du blocus de Gaza ?

6-Comment contraindrez-vous Israël à cesser de détruire les infrastructures palestiniennes largement financées par l’aide internationale et à verser des compensations pour toutes celles qui ont été détruites ?

Je considère que le blocus de Gaza est une impardonnable injustice envers la population civile. A mon retour d’une mission à Gaza en 2011, j’ai eu l’occasion de m’adresser à Lady Ashton, Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères en session plénière du Parlement européen pour lui dire que  « …nous ne pouvons plus nous contenter de reconstruire inlassablement les bâtiments. Nous devons construire la paix. Et nous devons le faire maintenant. »

En tant que candidate et citoyenne,  je pense qu’une politique purement humanitaire vis à vis de la population palestinienne n’est guère suffisante. Elle est certes d’une extrême urgence mais elle ne fait que pallier les dégâts de l’occupation et de la guerre. Nous ne pouvons plus continuer simplement à assister une population qui souffre, financer des infrastructures pour améliorer les conditions de vie et laisser se perpétuer l’enfermement terrestre, maritime et aérien de toute une population civile. Le contrôle de nappes aurifères est par ailleurs inacceptable, laissant la population gazaouis rationnée en eau de façon très insuffisante.

Le temps presse. Comme candidate EELV, je mettrai en œuvre tous les instruments juridiques dont nous disposons pour le respect de toutes les dispositions prises par l’Union européenne afin d’obtenir que toutes les déclarations soient enfin suivies d’actes.

Je considère qu’au sein de l’Union européenne comme en France, la cohérence des politiques est une priorité. L’UE est un très grand partenaire commercial d’Israël et l’accord d’association Israël-UE un levier politique et économique pour faire bouger les lignes. Toutes les dispositions de l’accord doivent être respectées. Les droits de l’homme ne doivent pas être laissés de côté au profit des droits de l’homme d’affaires.

Au nom de la France, je demanderai la suspension de l’accord d’association tant qu’Israël ne respecte pas le droit international et la IVe convention de Genève. Ceci est valable pour exiger la levée du blocus comme pour l’arrêt de la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem –Est.

En espérant avoir répondu à vos interrogations, je vous prie d’agréer mes sincères salutations.

 

Eva Joly