L’élection du libertarien Javier Milei symbole de la crise en Amérique amérindienne ? 
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Le 10 Janvier 2024

Le 10 décembre 2023, jour de son investiture, Javier Milei, a dressé un tableau dramatique de la situation du pays, sur le plan économique, social, politique, comme au niveau de la criminalité, l’Argentine étant, selon lui, devenue « un bain de sang ». Il y a réaffirmé que le seul remède était son programme ultra libéral. Ce discours, selon certains observateurs, ressemblait fortement à celui de Donald Trump en 2017.

Si son élection du 19 novembre a été une demie surprise, c’est surtout sa majorité de 55% des votants, dont un grand nombre de jeunes, qui a déjoué tous les pronostics.

Une situation politique, sociale, économique et démocratique catastrophique

En effet, Javier Milei, connu comme un économiste de télévision, n’avait aucun parti politique, ni mandat électoral, ce qui lui a permis, vu le rejet général de la classe politique argentine, d’apparaitre comme un « sauveur » antisystème. Mais cela n’aurait pas suffi sans le report massif des voix de ses concurrent.es de droite, le milliardaire et ex président, Mauricio Macri et Victoria Villaruel, représentante d’une droite catholique ultra conservatrice. C’est d’ailleurs à elle qu’il a immédiatement promis la vice- présidence. Il doit aussi sa victoire à son principal adversaire, le candidat de centre gauche, Sergio Massena, ministre de l’économie du gouvernement en place dont il portait l’échec.

40 ans après la fin d’une monstrueuse dictature qui a fait des milliers de victimes, comment cet attelage, nostalgique de cette période, populiste, climatosceptique, antiféministe, raciste, anti étatique a-t-il pu l’emporter ?

Tout d’abord, dominant la vie politique depuis des décennies, le péronisme, porteur d’un projet populiste, étatique mais néolibéral, miné par des scandales et la corruption, a été incapable, lors de ses mandats, dont le dernier, de sortir le pays de ses crises multiples.

Après une Covid meurtrière et socialement désastreuse, avec un taux de 40% de pauvres, une inflation de plus de 140%, un chômage exponentiel, un endettement incompressible, un secteur informel et précarisé, sur fond de faillite économique généralisée de la 3ème économie d’Amérique latine, une majorité d’argentin.es a perdu toute confiance dans l’État, rendu responsable de tous ses maux.

Un pur programme libertarien

Ils ont donc élu celui qui leur a promis un plan à « la tronçonneuse »: suppression  des lois tuant, selon lui, l’initiative privée,  privatisation de tous les services et entreprises publiques, suppression des protections sociales et des subventions, pour le chômage ou les sans-emplois, le logement ou  les sans-abris, annulation du droit à l’avortement …diminution drastique du nombre de ministères, comme celui des femmes ou de l’environnement, dévaluation et dollarisation de la monnaie nationale, etc…La loi du marché hors toute régulation pour mettre « fin à la décadence »..

Bien que son discours d’investiture ait déjà montré un infléchissement de ses proclamations de campagne les plus outrancières, il y a quand même repris les principales mesures antisociales dont une majorité d’argentin.es vont souffrir. Ainsi a-t-il signé, dès le 20 décembre, un décret dérégulant massivement l’économie et abrogeant plus de 300 normes protectrices, tels le contrôle des prix ou des loyers, tout en reconnaissant cyniquement que cela pourrait entrainer 90% de la population dans la précarité.

Pour éviter toute mobilisation, le président et sa sœur, ministre de la sécurité, ont déjà pris un tournant autoritaire et annoncé une batterie de mesures répressives en particulier contre les traditionnelles coupures d’axes routiers :  interventions immédiates de la police et gendarmerie, allocations suspendues, appel à délation.

Fortes mobilisations populaires et contre-pouvoirs législatifs

Cela inquiète fortement les mouvements progressistes, les syndicalistes, les mouvements féministes et toutes les associations en particulier de défense des droits humains, qui forment un réseau important dans le pays. Mais les menaces de répression, au contraire de l’effet recherché, ont été accueillies par un concert de casseroles et des occupations des rues.

D’énormes manifestations ont aussi répondu aux 664 mesures qu’il a promulguées en urgence, telle une dévaluation de 50%, la fin des subventions aux transports et à l’énergie, etc, annonciatrices d’une catastrophe sociale. Et pour la 1ère fois depuis la dictature, le principal syndicat (7 millions d’adhérent.es) a appelé, pour fin janvier, à une grève générale contre un président à seulement un mois et demi de son investiture.

Le président va d’ailleurs rencontrer d’autres obstacles, car l’Argentine est un état fédéral et le petit parti qu’il a créé n’a obtenu aucun gouverneur de régions, qui sont tous péronistes. De même, malgré les député.es allié.es, sa coalition est minoritaire au parlement, ce qui peut bloquer nombre de ses projets. Quant à la justice argentine, elle a suspendu les décrets concernant le droit du travail, considérant qu’ils n’avaient aucun caractère d’urgence, ce qui rend alors obligatoire un vote du pouvoir législatif.

Fractures politiques dans toutes l’Amérique amérindienne 

Sans atteindre le niveau de celui qu’on appelle le fou « el loco », on peut relier son élection à celle du Brésil de J.Bolsonaro, ou à la présence au 2ème tour, au Chili,  d’un milliardaire négationniste face au candidat de gauche élu, défenseur de l’environnement et des minorités, , Gabriel Boric. Ou encore, à l’élection, en Équateur, suite à la démission du président, d’un multimillionnaire, porteur d’un programme néolibéral. Sans parler du virage du président du Salvador, passé de la gauche à un populisme autoritaire et liberticide, devenu un modèle pour toute l’extrême droite des Amérique centrale et du sud.

Ces exemples, avec comme pendant les victoires de président de gauche, au Chili, en Colombie, au Honduras, au Pérou (destitué par la droite au bout d’une année), illustrent les importantes fractures politiques dans les pays d’Amérique amérindienne.

Une situation climatique exacerbée par la mondialisation 

Elles ont comme toile de fond le réchauffement climatique qui se traduit dans le cône sud par une sécheresse monstrueuse et des températures caniculaires (même l’hiver). Une situation aggravée par une agriculture d’exportation de cultures industrielles. C’est particulièrement le cas en Argentine, avec des cultures de céréales, gorgées de pesticides, d’engrais et d’OGM, dont le soja, monoculture d’une région devenue « un désert vert », qu’importe massivement l’UE. 

Celle-ci n’a d’ailleurs pas remis en cause la signature de l’accord commercial du Mercosur ((Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay) à laquelle le nouveau président s’est finalement déclaré favorable. Ce qui ne fera qu’aggraver la situation du pays tant au niveau économique que social.

Au niveau international, s’ajoute à cette crise climatique, de la biodiversité et à la raréfaction des ressources, donnant lieu à une concurrence mortifère, une austérité imposée par les pouvoirs économiques et politiques, les multinationales prédatrices et une mondialisation inégalitaire du commerce. Le tout aggravé par les exigences anti populaires, qui correspondent parfaitement aux projets de J. Mileil, du Fonds Monétaire International (FMI), pour des prêts qu’aucun pays n’arrive jamais à rembourser.

Des soutiens internationaux d’extrême droite et …

En Argentine, la réaction s’exprime par un ultra libéralisme, porté par un personnage caricatural plus qu’inquiétant.

Rien d’étonnant, donc, à la présence lors de son investiture du 1er ministre hongrois, de l’ex-président J. Bolsonaro ou du chef du groupe d’extrême droite espagnole, Vox, comme de présidents des pays voisins. Plus surprenant, celle du ministre français de la Transformation et de la Fonction publique (sic). Ou la photographie du président E. Macron arborant, pouce levé, (en signe d’adhésion ?), le cadeau de J. Milei : un maillot où est inscrit sa phrase favorite « vive la liberté bordel !». Quand l’ultralibéralisme fascine…

Françoise Alamartine, Commission Transnationale, Les Ecologistes-EELV