Pérou : les manifestations populaires réprimées dans le sang 
Partager

Suite à la destitution du Président Péruvien Pedro Castillo, un large mouvement de protestation est de nouveau en cours au Pérou et est réprimé violemment par les autorités. Plusieurs victimes sont à déplorer. Les manifestant-es réclament la démission de la Présidente Dina Boluarte et l’arrêt de la répression des manifestations. Pour sortir de cette crise, de possibles élections pourraient être organisées en avril 2024, ce qui demeure néanmoins peu certain. 

Déjà au printemps 2022, en mars-avril, le pays s’était soulevé pour dénoncer la hausse des prix et contester le Gouvernement de Pedro Castillo. Il lui était notamment reproché d’avoir cédé, comme ses 5 prédécesseurs, aux sirènes de la corruption. Menacé par une motion de destitutions, Pedro Castillo a tenté le 7 décembre, de dissoudre le Congrès. Au mépris de la Constitution péruvienne, il annonce la création d’un Gouvernement d’urgence exceptionnel, avec un pouvoir renforcé pour au moins 9 mois par décret, la suspension de toutes les institutions, des élections anticipées et la création d’une Constituante. Face à cet acte anti constitutionnel, il est destitué. 

L’élection de Pedro Castillo, un instituteur rural, fils de paysan, syndicaliste, avait pourtant soulevé un grand espoir dans la population. Sans parti sur lequel s’appuyer, (il se présentait pour Perù libre, parti de gauche, dont le dirigeant, accusé de corruption, ne pouvait être candidat, mais s’en est éloigné assez rapidement), sans expérience, avec un parlement dominé par la droite, sa tâche n’était pas facile. Malgré la forte croissance du PIB, la classe dirigeante ne pouvait supporter un président qui n’était pas issu de son milieu. Les milieux populaires, eux, ne profitant évidemment pas de la « bonne santé » de l’économie. Son mandat a été erratique, sans ligne définie, comme l’attestent les 78 ministres se suc- cédant en seulement 495 jours… Et peu de ses promesses électorales ont été tenues, provoquant en avril dernier des mouvements sociaux importants. 

Au niveau écologique, le « plan minier » de Perú Libre était totalement extractiviste. Le Pérou est l’un des pays où la biodiversité est parmi la plus importante du monde, mais aussi celui où l’industrie minière couvre une énorme superficie. Ainsi, pendant son mandat, le Ministère de l’Énergie et des Mines a autorisé maints projets miniers. Le vieux pipeline de l’entreprise d’état, qui traverse l’Amazonie et les Andes jusqu’à la côte, présente toujours des fuites et pollue le territoire de nombreux peuples autochtones. Lextractivisme n’est pas seulement une catastrophe climatique et environnementale pour la biodiversité et les populations, mais il est aussi un ennemi de la démocratie. En effet, des études soulignent qu’une importante implantation minière est corrélée à une forte corruption, par les multinationales dominant cette industrie. Selon l’ONG Transparency Internacional, le Pérou se classe 105ème sur 180 pays pour la corruption gouvernementale. 

Néanmoins, les actuelles manifestations en cours en ce mois de décembre dénoncent la condamnation à 18 mois de détention provisoire de Pedro Castillo. Les manifestant-es jugent cette condamnation « arbitraire » et réclament un procès équitable. Les manifestant- e-s dénoncent le mépris du gouvernement de Dina Boluarte envers les classes populaires comme le fait qu’aucune personne d’origine indigène n’en fasse partie, ce qui constitue pour les manifestant-e-s une véritable « humiliation ». Les manifestant-e-s dénoncent par ailleurs la corruption généralisée des Institutions et en particulier du Parlement. Iels réclament sa dissolution, des élections présidentielles (83% des péruvien.nes se déclarant pour) et une Constituante pour rédiger une nouvelle constitution. L’abrogation de celle-ci, mise en place lors de la mandature de l’ex-président A.Fujimori, emprisonné pour crimes contre l’humanité en 2007 et libéré pour raisons de santé en 2022, est une revendication récurrente. 

Face à ces manifestations, le Gouvernement de Dina Boluarte a rejeté tout dialogue et a décidé de mener une répression violente. Face à l’ampleur des mobilisations, il a proclamé l’état d’urgence le 16 décembre, permettant aux militaires d’intervenir en toute liberté. Résultat : 8 mort-es en cette seule journée dans une seule ville. Le nombre des victimes augmente quotidiennement comme celui des blessé.es et des détenu.es. Des persécutions touchent aujourd’hui les syndicalistes, les peuples indigènes, les militant-es politiques ou les ONG. La ministre de l’Éducation a de ce fait démissionné. 

La situation humanitaire au Pérou est donc inquiétante du fait de l’état d’urgence militarisé et de la violente répression subie par le peuple péruvien en lieu et place d’un dialogue. Le Président colombien a proposé sa médiation afin qu’une sortie démocratique soit trouvée en collaboration avec les représentant.es des manifestant.es, en particulier des amérindien-nes. En effet, les manifestant-es se sentent méprisé-es et la violence de la réaction des classes dirigeantes qui s’appuie parfois sur un racisme ethnique et social gangrène toujours le Pérou. Seule la reconnaissance de la spoliation des peuples originaires, une volonté de réparation et une véritable justice socialo-ethnique, pourront mettre fin aux crises et soulèvements. 

Aminata Niakaté et Sophie Bussière, porte-paroles EELV

La Commission Transnationale d’EELV