RCA : soutien à l’intervention française, nécessité de développer les capacités africaines de réaction aux crises
Partager

Intervention de Kalliopi ANGO ELA, sénatrice écologiste représentant les Français établis hors de France, lors du débat au Sénat sur l’engagement des forces armées en République centrafricaine

(dans le cadre du mandat résultant de la résolution 2127 du Conseil de Sécurité des Nations Unies)

Séance publique, mardi 10 décembre 2013

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre de la Défense,

Monsieur le Président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées,

Mes cherEs collègues,

Nous sommes aujourd’hui réunis en application de l’article 35, alinéa 2, de la Constitution[1].

Je tiens, à titre liminaire, à rappeler la position des écologistes qui aspirent, concernant cette intervention en Centrafrique et  d’une façon générale s’agissant des interventions de nos forces à l’étranger, à ce que nos débats puissent être suivis d’un « vote de nos deux assemblées ».

En l’espèce, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé, jeudi, le déploiement de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) pour une période de 12 mois.

En adoptant à l’unanimité de ses 15 membres la résolution 2127, le conseil a confié un mandat en plusieurs volets à cette Mission.

Appuyée par des forces françaises autorisées à [je cite] «  prendre temporairement toutes mesures nécessaires », la MISCA est notamment chargée de contribuer à protéger les civils et rétablir la sécurité et l’ordre public, à stabiliser le pays et à créer les conditions propices à la fourniture d’une aide humanitaire aux populations qui en ont besoin.

Avant de revenir plus en détails sur les diverses dispositions de cette résolution onusienne, et sur la place centrale qui doit être donnée aux forces africaines dans cette opération, il me semble important de rappeler le drame qui se vit depuis déjà trop longtemps en Centrafrique

Depuis la prise de Bangui au printemps dernier, par la Séléka, la RCA est le théâtre de pillages, exactions, et violences atroces à l’égard de la population civile.

La situation dramatique qui touche le pays s’est aggravée ces dernières semaines, plongeant la Centrafrique dans des violences meurtrières, ayant entrainé près de 400 morts jeudi et vendredi à Bangui. La Croix-rouge centrafricaine ramassait toujours samedi des dizaines de cadavres abandonnés depuis les violents affrontements des jours précédents, suivis de tueries à l’arme à feu ou la machette. Des centaines de blessés étaient également comptabilisés par Médecin sans frontière (MSF). Les viols et violences sexuelles faites aux femmes se sont aussi  multipliés, tout comme l’enrôlement des enfants soldats.

Face à cette situation inacceptable, il était urgent de réagir !

 

Les écologistes tiennent, ici, à réaffirmer que  « la capacité des pays africains d’assurer eux-mêmes leur sécurité est un objectif qui requiert le soutien international et particulièrement européen. »

Si nous saluons le soutien logistique annoncé par plusieurs Etats européens au profit de la MISCA, et l’annonce de 50 millions d’euros de l’Union européenne, à la demande de l’Union africaine (toujours au profit de la MISCA), nous regrettons, que la France soit à nouveau seule à intervenir dans le cadre du soutien à cette opération. L’urgence humanitaire et sécuritaire requiert un soutien collectif de nos partenaires européens, afin de protéger la population centrafricaine, rétablir la sécurité et la stabilité du pays.

 

Au-delà, et c’est l’essentiel selon moi, cette opération en RCA doit reposer sur l’engagement des forces africaines, et leur nécessaire implication, ainsi que sur celle de l’Union africaine.

 

Je salue, à ce sujet, le fait que lors des travaux du Sommet de l’Elysée pour la Paix et la sécurité en Afrique, les Chefs d’Etat et de Gouvernement aient « appelé à une réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies permettant de renforcer la place de l’Afrique dans le cadre d’un Conseil élargi […] »

 

Avec eux, je me réjouis, également, « des avancées importantes réalisées par l’Union africaine, les communautés économiques régionales et les Etats africains dans la mise en œuvre d’opérations de paix africaines, au Mali, en République centrafricaine, en Somalie, en Guinée-Bissau, au Burundi, au Soudan (Darfour), aux Comores. Ces initiatives apportent des solutions africaines aux problèmes africains et doivent être soutenues par la communauté internationale. »

 

Les sénatrices et sénateurs écologistes, réaffirment donc aussi  « l’importance de développer les capacités africaines de réaction aux crises », et saluent l’engagement de la France, lors de ce Sommet, à « soutenir les efforts de l’Union africaine pour parvenir à une pleine capacité opérationnelle de la Force africaine en attente et de sa Capacité de déploiement rapide à l’horizon 2015, ainsi que la Capacité africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC), telle que décidée par le Sommet de l’Union africaine en mai 2013. »

 

Par ailleurs, il me semble important de rappeler, que  par la résolution 2127, le Conseil de sécurité prie le Secrétaire général de l’ONU de créer un fonds d’affectation spéciale auquel les États Membres et les organisations internationales, régionales et sous-régionales pourront verser des contributions financières à la Mission.

La résolution lui demande également de créer rapidement une commission d’enquête internationale, pour une période initiale d’un an, chargée d’enquêter sur les violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme qui auraient été perpétrées en RCA « par quelque partie que ce soit » depuis le 1er janvier 2013. Les signalements de violences, y compris de violences interconfessionnelles, n’ayant cessé de se multiplier au cours de l’année écoulée.

Je soulignerai, enfin, que la résolution instaure aussi (pour une période initiale d’un an) un embargo pour empêcher la fourniture, la vente ou le transfert à la RCA d’armements et de matériels connexes de tous types. Un comité des sanctions sera chargé, en particulier, de veiller au respect, par tous les États Membres, dudit embargo.

Les écologistes seront particulièrement attentifs à ces deux derniers points.

Cet engagement des forces françaises en Centrafrique, en soutien à la MISCA, sous mandat de l’ONU, et à la demande du Gouvernement centrafricain, de la société civile de RCA et des États voisins, est donc une étape nécessaire en vue d’éviter une catastrophe humanitaire.

 

Cependant, nous devons, toutes et tous, prendre la pleine mesure de la complexité de la situation géopolitique en République centrafricaine. Le mauvais état des routes et des pistes, la diversité des groupes armés, rejoints par des brigands, bandits de grands chemins, et groupuscules crapuleux, sur fond de conflits interreligieux, rendent extrêmement compliquée la tache de la MISCA et de nos forces armées. Il est, dès lors, difficile de déterminer de façon précise qui agit, d’autant que nous sommes face à plusieurs groupes armés évanescents, qui risquent de se reconstituer aussi vite qu’ils seront dissous. Il s’agit donc de ne pas tomber dans l’écueil d’une  vision binaire « Séléka » contre « anti-balakas », ou « musulmans » contre « chrétiens », là où la situation est plus complexe. Notons, que de nombreux centrafricains d’obédience musulmane, se désolidarisent clairement de la Séléka (déjà fort morcelée) et ne souhaitent pas lui être assimilés.  Dans ce contexte, il nous appartient donc de faire preuve de précaution, a fortiori, en raison de la perméabilité des frontières avec les Etats voisins. Les enjeux géostratégiques sont donc de taille, au risque que la RCA devienne une base arrière de groupes radicaux déstabilisant toute la région.

Si les grandes villes pourront, à terme, être bien sécurisées, ainsi que les grands axes, (comme par exemple l’axe Bangui/Douala), l’instauration d’une  paix et d’une sécurité durable risque d’être  plus délicate à obtenir et à consolider dans les zones difficiles d’accès ou reculées de la brousse.

Je salue, d’ailleurs, le courage et l’engagement des soldats de la MISCA, et des troupes françaises. Notre groupe tient également à rendre hommage aux deux militaires français du 8ème régiment de parachutistes d’infanterie de marine de Castres tués cette nuit en opération à Bangui.

Cette intervention s’annonce donc malheureusement longue, évidemment dangereuse et d’une complexité sans précédent. Si comme concernant l’intervention au Mali, la phase militaire devra laisser au plus vite la place à la phase politique, puis au temps du développement, la différence résulte dans le contexte particulier de la Centrafrique où il n’existe plus d’Etat….

La reconstruction de l’Etat centrafricain, défaillant depuis de nombreuses années, sera le préalable nécessaire à sa stabilité, et à l’organisation d’élections démocratiques, dans un pays où les archives administratives et l’état civil ont été détruits. Une fois la paix rétablie, ce que nous appelons toutes et tous de nos vœux, quid de la constitution  de listes électorales, dans un Etats qui « renaitra de ses cendres » ? Les difficultés seront malheureusement multiples et nous devons d’ores et déjà les envisager.

Enfin, nous ne pouvons évidemment pas évoquer l’objectif de paix et de sécurité en Centrafrique,  sans aborder l’ultime et nécessaire  étape du développement, volet d’ailleurs intégré au Sommet de l’Elysée, à l’initiative de Monsieur le Ministre Pascal Canfin.

Cette étape de reconstruction sociale et économique passera par l’aide au développement, qui nécessitera une mobilisation de tous les acteurs. Il s’agira de mettre tout en œuvre, avec les autres Etats européens, l’UE, et l’ensemble de la société internationale, pour parvenir à un système de partenariat et de développement, associant le futur Etat centrafricain, la société civile, les organisations régionales africaines, les Etats africains, et les ONG.

 

En tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, je pense aussi aux Français établis en Centrafrique, dont une grande partie a dû rentrer en France au printemps dernier, suite à la prise de Bangui par les rebelles, tandis que d’autres ont rejoint d’autres États africains, et certains sont restés en RCA,  où tous avaient tissé des liens familiaux, sociaux et amicaux

L’intervention militaire ne suffira évidemment pas à résoudre les problèmes d’un pays extrêmement pauvre et affaibli par les conflits récents, comme l’a récemment souligné le président de MSF, M. TERZIAN, qui rappelait l’absence d’infrastructures, de système de santé, et que les hôpitaux y manquaient à la fois de personnel et de matériel. 

 

Je conclurai en citant, Vassilis Alexakis,  écrivain franco-grec, et son ouvrage intitulé Les Mots étrangers.

Il y fait une quête, celle d’apprendre le sango, la langue de Centrafrique. A travers l’apprentissage d’une langue rare, avec laquelle nous n’avons pas de lien, l’auteur décide d’un voyage à Bangui. Il écrit : « La mort aussi se lève de bonne heure à Bangui. J’ai mis du temps à me remettre de cette révélation. »

 

J’ajouterai que, depuis le 24 mars dernier, elle ne cesse malheureusement de se lever de bonne heure pour les Centrafricains !

Afin, que cela cesse au plus vite, le groupe écologiste soutiendra l’engagement des forces  armées en République centrafricaine.

 

Je vous remercie.



[1] Qui dispose : « Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. »